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Stars at Noon

Entretien avec Claire Denis, réalisatrice

Comment est né le projet de Stars at Noon ?

J'ai découvert Denis Johnson, écrivain et poète, assez tard, il y a une quinzaine d'années. 

Ce fût un grand choc et j'ai tout lu avidement. 

Stars At Noon en particulier m'a saisie. 

Le ton, la façon d'aborder cette fiction au cœur d'une guerre civile, le ton cru souvent, ironique et en même temps très tendre m'a perforé le cœur. 

Il décrit si bien le sentiment de désillusion permanente de ses personnages. 

Trish (Margaret Qualley), s'élance dans une rue et hurle "Sin Esperanza, sin esperanza". Daniel (Joe Alwyn), avant de pouvoir dire "Je t'aime", se lamente : "I'm caught, I'm caught", "je suis pris, tu m'a pris", presque le contraire de "Je suis épris". Du coup, c'est un "Je t'aime" sans retour. 

Je ne pensais pas vraiment que j'aurai le courage de me lancer dans l'adaptation d'un tel livre. 

l y a une dizaine d'années, j'ai pu joindre Denis au téléphone et il m'a proposé une rencontre à La Haye où il venait assister à une semaine de concerts. Timides tous les deux, je n'osais pas vraiment lui parler de mon envie d'adapter son livre. En tout cas, il m'a fait bien comprendre qu'il ne voudrait en aucun cas participer à un éventuel scénario. Il avait connu trop d'épreuves malheureuses auparavant. Stars At Noon, c'est son histoire quand, jeune homme, il est parti au Nicaragua pour "couvrir" la guerre civile. Il voulait devenir journaliste, tous ses articles ont été refusés. Et je crois qu'il a vécu l'enfer là-bas, sans argent et sans espoir. De retour aux Etats-Unis, il a décidé d'écrire ce roman en s'appuyant sur ses notes et ses articles rester lettre morte Je ne suis pas sûre qu'il avait une grande confiance dans les adaptations. Mais l'adaptation de Jesus' Son lui avait plue et moi je ne lui ai pas déplu. 

J'ai appris la mort de Denis quand je tournais High Life à Cologne, je me suis dit: "Je le tente.". 

Ecrit en 1986, le roman de Denis Johnson est situé au Nicaragua en 1984 en pleine révolution sandiniste. Comment avez-vous composée avec cet arrière-plan historique ?

Ce n’est pas un film d'époque. Le film se passe plus ou moins dans le Nicaragua d’aujourd’hui. 

Quand nous avons commencé le tournage, le Nicaragua était devenu inaccessible à cause des élections qui ont eu lieu en novembre 2021 et qui ont crée un grand désordre social. 

Le film s’ouvre sur le plan d'un immense arbre rouge constellé d'ampoules et à côté un arbre similaire fracassé et brûlé. 

Ces arbres érigés par la présidente, sont le symbole de Managua, la capitale du Nicaragua. 

Apparemment ils ont coûté une fortune qui évidemment n'a pas profité aux habitants, ils sont devenus le symbole de leur colère. 

Le Panama nous a accueillis et nous a permis de représenter des lieux qui au fond peuvent évoquer le Nicaragua. 

Comme dans le livre, j'ai voulu décrire une rencontre fortuite qui devient de l'amour, une attirance sexuelle qui dévore et aveugle. Et donc, comme dans le livre, les violences qui bouleversent le pays sont vues de loin. 

Trish, c'est une jeune américaine qui ne souhaite qu'une chose, retourner aux Etats-Unis, qui n'a plus l'espoir de devenir journaliste et qui n'a plus un rond. 

Daniel, c'est un jeune homme d’affaire britannique qui lui semble rassurant et sincère. En fait il navigue entre des mensonges et un certain manque de lucidité. 

Leur première rencontre est placée sous le signe d’une scène de prostitution au bar d’un grand hôtel. On est loin de l’amour

Je crois plutôt qu’on y est de plain pied. Elle se prostitue pour survivre et lui n’est pas contre une relation sexuelle tarifée sans lendemain. 

Mais cette sorte d’accord conventionnel explose instantanément une fois dans la chambre. Peau à peau, peu de mots, pas mal d'ironie pour masquer le trouble.

Les scènes « à caractère sexuelle » sont très présentes dans le film ?

Elle l'étaient dans le livre. 

J'espérais que ces scènes ne soient pas triviales mais qu'elles soient filmées franchement. 

Eric Gautier a choisi des objectifs scope "antiques". 

Ils étaient très lourds et encombrants et en fait, ils nous ont permis de filmer Margaret et Joe de si près, avec tant de confiance réciproque. J'ai envie de dire avec amour. 

Comment avez-vous choisi vos deux acteurs principaux, Margaret Qualley et Joe Alwyn ? 

J’avais vu Margaret dans le film de Quentin Tarentino Once upon time in Hollywood

Je l’ai contactée et elle m'a tout de suite dit oui. Puis la pandémie est arrivée et Margaret nous a attendus pratiquement trois ans. 

Elle n'a jamais perdu confiance et quand elle sentait que c'était moi qui perdais pied, elle m'appelait de Vancouver, où elle tournait Maid, pour me remonter le moral. 

Je pensais que the english man serait interprété par Robert Pattinson mais justement, à cause de la pandémie, il était mobilisé par le tournage et la promotion de Batman pendant deux bonnes années. 

J'ai fait la connaissance de Joe Alwyn par Zoom, j'étais déjà au Panama et nous étions à la veille du tournage. Je l’avais admiré en soldat dans Un jour dans la vie de Billy Lynn de Ang Lee. Ang Lee a un talent incroyable pour regarder les acteurs, les aimer et les révéler à eux-mêmes. 

Tout s'est passé très vite. Nous parlions par zoom un vendredi, lui à Londres, moi à Panama et sans hésiter, ni lui ni moi, on a éprouvé l'envie de travailler ensemble. 

Le lundi suivant, il arrivait à Panama. 

Avec Margaret et Joe, tout était simple. Leur talent, leur implication, leur compréhension des personnages et surtout leur complémentarité. Elle, comme une résurrection de Paulette Goddard dans les Temps modernes de Chaplin. Lui, si blond, si tendre, si doux, avec sa peau blanche comme un nuage qui flotte à la surface de son corps. 

Le tournage n’a pas été, comme on dit, de tout repos ? 

Non mais grâce à l'éclatante équipe technique sur place, en majorité panaméenne, qui s’est naturellement agrégée à l'équipe française, tous les problèmes devenaient des solutions. Il pleut ? Eh bien, il n’ y a qu’à tourner la pluie. Le décor n’est pas celui qu’on espérait ? Pas grave, on va en trouver un autre etc, etc... Une équipe de compagnons. 

Le film est cadré sur la passion des deux personnages principaux mais il s'ouvre régulièrement sur des paysages, qu’ils soient de ville ou de campagne ... 

Pour moi ce sont deux optiques d’une même paire de lunette. Avec le chef opérateur Eric Gautier nous sommes tombés d'accord sur tout, nous marchions dans les pas l'un de l'autre. 

Nous avons parcouru tant de provinces du Panama avec Arnaud, le chef décorateur, Tello, le régisseur et Olivier Hélie, le producteur éxécutif, que les paysages étaient gravés en nous avec évidence, sans recherche esthétique.

Stars at Noon, semble voguer entre Les enfants terribles de Jean-Pierre Melville et They live by Night de Nicholas Ray ? 

Le garçon et la fille s’aiment comme des fous, c’est à dire comme des enfants qui tombent amoureux pour la première fois. 

Simultanément, pour sauver leur peau, ils s’embarquent dans une cavale vers la frontière entre le Nicaragua et le Costa Rica. 

S’aimer, s’enfuir, c’est un beau programme et, dans les deux cas, c’est le même genre de suspens. Leur désir est inassouvi car ils savent qu’ils n’auront pas le temps de s’épuiser l’un l’autre. 

Ils foncent, parfois à toute vitesse, parfois au ralenti, dans un présent absolu, avec l'envie de crier « encore un peu ! » parce qu’ils pressentent qu’à la fin l'échec est inéluctable. 

La psychologie des personnages et leur biographie s'inscrivent à peine car entre eux, en fait, tout se passe si vite, ils partagent si peu de temps de ce début d'amour et tous les deux, craignent de se démasquer totalement. 

Elle dit qu’elle a navigué entre un peu de ci et un peu de ça. Il raconte qu’il est marié. Mais on peut supposer qu’ils mentent avec allégresse pour justement balayer toutes les questions sur leur passé ou, pire, leur avenir. 

Leur amour n’est pas un prétexte pour raconter une histoire, défendre une cause, expliquer une situation ou sauver le monde dont nous savons par ailleurs qu’il va très mal. Leur passion est comme un blason au sens poétique, une ode à l’amour, voyou et sans papier 

Parlez nous des autres personnages ? 

Travailler avec Benny Safdie, c'était mon rêve et il a réussi à se libérer pour venir passer quelques jours au Panama. Il a apporté au personnage de l'agent de la CIA une intelligence désarmante. 

Danny Ramirez, je l'ai rencontré dans un rendez-vous de casting classique à Los Angeles juste avant la pandémie et nous sommes restés en contact, heureusement. 

Au Panama, choisir des acteurs (professionnels ou non professionnels), s'est fait pendant la préparation avec l'aide d'une directrice de casting qui a remué ciel et terre. 

Je ne suis pas prête d'oublier ma rencontre avec Nick Romano qui n'a pas cru pendant longtemps que c'était lui que je voulais et personne d'autre. 

Propos recueillis par Gérard Lefort

(Dossier de presse) 

Stars at Noon

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