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Sick of Myself

Entretien avec Kristoffer Borgli, réalisateur

D’où vient l’idée de réaliser un film sur une relation toxique et dysfonctionnelle - en d’autres termes, une “anti-comédie romantique” ?

Tout a commencé avec l’axe narratif du personnage de Signe. Je voulais que le film soit ancré dans le monde réel, dans la société que j’ai pu observer à Oslo. Le comportement de Signe est tellement extrême que son parcours devient imprévisible. Le public doit la suivre pas à pas s’enfoncer dans cette spirale infernale.

Mais, à mesure que l’écriture avançait, je me suis également intéressé à son fiancé, Thomas, car il était devenu évident que le cœur du récit était la dynamique entre ces deux personnages. Toutes leurs actions sont motivées par la compétition qui existe entre eux. Cela en fait un couple de narcissiques toxiques : aucun d’eux ne se soucie de l’autre, et les deux font ressortir le pire d’eux-mêmes dans n’importe quelle situation.

Pourquoi avoir choisi Kristine Kujath Thorp, et comment a-t-elle contribué à façonner le personnage de Signe ?

Kristine devait incarner un personnage difficile qui a véritablement pris vie au moment où elle s’en est emparée. C’est un rôle puissant et complexe sur le plan psychologique, qui nécessite aussi un sens de la comédie et une capacité à jouer avec son corps pour être crédible. 

Pendant la préparation, nous nous sommes penchés sur le double jeu de son personnage et la question qui s’est posée était “comment incarner un personnage qui ne montre jamais son vrai visage ?” Elle ment comme elle respire, sa modestie est un leurre et ses interactions sociales sont soigneusement préparées. Interpréter un personnage qui se met à ce point en scène requiert un équilibre complexe, que Kristine est parvenue à trouver.

Il fallait aussi prendre en compte tous les aspects physiques du rôle, les manières dont son corps frôlait l’étrange, l’horreur et même parfois le comique. Lorsque nous répétions, nous avions souvent l’impression de préparer un spectacle de danse grotesque. Nous avons même envisagé d’avoir recours à de légers électrochocs pour générer des réactions physiques spontanées chez Kristine, mais c’était évidemment une mauvaise (et douloureuse) idée que nous avons mise de côté.

Quel a été le processus pour aboutir à la transformation physique de Signe, à tel point que son visage est presque devenu un personnage à part entière ?

Le maquillage prothétique était si vital pour le film que j’ai immédiatement placé Izzi Galindo, légende du maquillage et des effets spréciaux, au cœur du travail de préparation du film. Nous avons passé de nombreux mois à concevoir les différentes étapes de la transformation de Signe, dans le but d’arriver à un résultat à la fois choquant et fascinant.

Je pense que nous avons tous les deux une fascination pour les altérations du visage ou du corps, et leurs conséquences. Notre but était d’atteindre un stade où la dysmorphie pouvait paraître autant attirante que repoussante. Il s’agissait de bousculer le spectateur pour le divertir  : à l’époque des réseaux sociaux où l’apparence physique est primordiale, un réalisateur qui enlaidit sa propre héroïne est une démarche à contre-courant !

D’ailleurs, SICK OF MYSELF a été présenté au Festival de Cannes la même année que le dernier film de David Cronenberg. C’est une coïncidence amusante puisqu’il est sans doute en grande partie responsable de mon intérêt exacerbé pour les prothèses et le “body horror”.

Quels étaient vos objectifs en termes d’esthétique ? Le film est un mélange parfait d’élégance et de situations visuelles extrêmes.

La phrase de Tom Waits “j’aime les belles mélodies qui disent des horreurs” illustre bien mon état d’esprit. Je voulais capturer l’inconfort de cette histoire de la plus belle façon possible. J’ai voulu la tourner durant les très beaux étés que nous avons à Oslo. Je souhaitais que l’on soit hors du temps autant que possible, pour contrebalancer le côté très contemporain de l’histoire avec la thématique intemporelle du narcissisme et de la jalousie. Les prises de vue en 35mm étaient aussi une évidence et nous avons incorporé beaucoup de musiques classiques, pour, je l’espère, créer un film à la frontière tenue entre l’horreur et le magnifique.

Comment avez-vous géré l’équilibre entre le réalisme et la satire, la comédie et la tragédie ?

Rien n’a été inventé dans cette histoire. Tout vient d’observations qui ont été exagérées pour produire de la comédie, du conflit et du spectacle. J’ai une forte appétence pour l’humour noir. Les situations à la fois inconfortables et drôles m’attirent énormément.

Certains personnages de cette histoire ont-ils un bon fond ou sont-ils tous équitablement détestables ?

Je pense qu’on peut très facilement s’identifier aux personnages. Simplement, dans la vraie vie, la majorité des gens s’empêchent d’agir impulsivement, par convenances sociales. J’aime l’idée que la fiction nous permette de faire abstraction des injonctions morales sans avoir à en gérer les répercussions. Avec SICK OF MYSELF j’ai essayé de créer des personnages tout juste tolérables et non pas nécessairement sympathiques. L’écrivain Saul Bellow disait qu’“une pensée meurtrière par jour éloigne le psychiatre”. Il y a quelque chose dans cette citation qui fait appel à mon désir d’explorer ces situations malaisantes, voire parfois horribles, dans la fiction.

Sur le plan moral, le film ne laisse pas les fautes des personnages impunies. L’histoire fonctionne comme une parabole. J’accepte volontiers chaque interprétation du film, mais pour moi, il vise surtout à tourner en dérision les aspects les plus sombres de la vie et de la société moderne.

(Dossier de presse) 

Sick of Myself

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