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Wahou !

Entretien avec Bruno Podalydès, réalisateur

D’où est née l’idée du film ?

C’est un projet que j’avais depuis longtemps. Il s’est longtemps appelé « Nos maisons ». Il y a des années, j’avais fait visiter l’endroit où je vivais alors et j’avais été heurté par les réactions de certains clients- un type, notamment, qui pensait à voix haute aux travaux qu’il allait effectuer en cognant sur les parois – « On va abattre ce mur »s’esclaffait-il. « Cette cloison-là, on la vire, etc. » Il remettait simplement en cause, devant moi, mon mode de vie. 

C’est très révélateur, la visite d’une maison, du côté des acheteurs comme de celui des vendeurs. On entre dans l’intimité des gens. Cela peut être insupportable : parfois c’est triste et d’autres fois ça peut être bouleversant. A l’époque, j’avais trouvé que c’était un dispositif qui permettait de raconter beaucoup de choses. 

L’un des fils conducteurs, ce sont ces deux conseillers immobiliers, Catherine (Karin Viard) et Oracio (vous-même) qu’accompagne avec zèle, Jim, leur stagiaire (Victor Lefebvre). 

Bien qu’ils n’aient pas la même approche – l’une est une vraie professionnelle mais vient d’être frappée par la mort de son compagnon ; l’autre est arrivé dans le métier par nécessité économique- ils se retrouvent malgré eux dans une position de psys. Déjà dans LIBERTEOLERON, Jacques Monot s’adressait au vendeur de bateaux comme si c’était un médecin.

Dans l’immobilier, cela va loin. Une conseillère avec qui j’ai parlé pour le film me disait que les gens se confiaient à elle d’une façon incroyable, au point de lui livrer des secrets de famille jamais révélés jusque-là. Ils lui racontent « leur projet », comme on dit maintenant. Et, comme dans le film, cela peut sceller un couple ou, au contraire, le déstabiliser complètement si les désirs divergent. Acheter une maison, un appartement, en vendre, est souvent un chamboulement où le rationnel a rarement sa place. 

Vous le disiez, Catherine et Oracio, les agents immobiliers, traversent une phase particulière. Cela leur donne une attitude souvent flottante, parfois rigide. Oracio se paume dans les clés et les biens à vendre. Catherine hésite entre réciter sa leçon – livrer en quelque sorte une représentation – et lâcher prise.

Je n’ai pas facilité la tâche de Karin. Les comédiens s’attendent souvent à ce qu’on leur décrive leur personnage avec une certaine cohérence, en tout cas suivant une certaine trajectoire dramatique. Là, au contraire, je ne lui ai proposé que des contradictions : « Tu seras à la fois rigide et effondrée, chantante et dépressive, réfléchie et directe ». Et elle a accepté de jouer comme ça, sans vouloir absolument relier par des coutures, joindre ces extrêmes. Parfois, elle chantonne : « Que je trouve la bonne clé… » comme une boulangère dirait : « Et avec ceci, Madame ? », puis dirige sa visite comme s’il s’agissait d’un cours de mathématique. Karin passe rapidement par différentes couleurs ; un vrai kaléidoscope. 

L’autre fil d’Ariane est ce couple d’un certain âge (Sabine Azéma et Eddy Mitchell) qui vend sa propriété : une magnifique demeure du XIXème siècle, avec un sequoia centenaire, située en bordure du RER. Avec eux, on est véritablement dans une autre époque. Comme le dit le personnage d’Isabelle Candelier qui a un coup de foudre pour le lieu, on se croirait dans DOWNTOWN ABBEY. 

Oui, comme dans la série, ces demeures sont conçues en strates – les châtelains en haut, le personnel en sous-sol, avec une grande porosité entre les deux. A moins d’être fortuné, il est presque inenvisageable aujourd’hui d’y reproduire le mode de vie d’alors. Les gens ne comptaient ni leurs employés, ni les charges, le chauffage etc. Et puis, c’était alors encore un territoire de vergers. On oublie que Bougival n’était pas la proche banlieue qu’elle est devenue. A l’inverse, j’imagine que les Bougivalais vont être très intrigués par ce triangle d’or que vantent Catherine et Oracio dans le film, et qui n’existe évidemment pas. 

Pour en revenir à ce couple, ils agissent véritablement comme un miroir réfléchissant de notre société. Les « Wahou », tant attendus par les agents, fusent, mais pas toujours pour les bonnes raisons. Seuls les personnages d’Isabelle Candelier, une bourgeoise très aisée (malheureusement flanquée d’un mari prêt, lui aussi, à tout casser) et celui d’Agnès Jaoui, qui verrait bien y installer sa troupe d’opéra, cèdent au double charme du couple et du lieu. 

On entre dans cette maison par la musique, la petite troupe qui accompagne le personnage d’Agnès Jaoui : Josepha est comme la maison, à la fois forte et vulnérable, protectrice et envahissante. Agnès était accompagnée d’une des ses deux formations et ça a été un plaisir de les écouter chanter lors de notre premier jour de tournage. Nous étions constamment portés par leur voix. 

Hergé prend beaucoup de place dans WAHOU ! 

Ah oui (sourires) Il y a sans doute un effet « Dupond et Dupont » avec les deux cyclistes qui ont l’air de Playmobil, ou celui des deux frères en motos qui lèvent et rabaissent leur casque en même temps. Un genre d’effet burlesque qui peut venir d’Hergé en effet. 

J’ai grandi à Versailles, royaume de la symétrie, cet ordre qui repose l’esprit mais qui est au fond une forme de non pensée : s’il y a un arbre là, alors en me retournant, je dois en voir un autre à la même distance. Il y a, dans ces deux couples un effet gémellaire, comme un effet larsen, qui, à force d’échos, confine à la bêtise et finit par tuer le sens. 

Tout va par paires et contraires dans le film : des paires de couples dépareillés, des biens qui n’ont rien à voir ; et même des personnages qui semblent coupés en deux. 

Ce film, je l’ai écrit très vite, en un mois, en naviguant à vue et sans souci d’exhaustivité. Je n’ai pas cherché à prendre un panel d’acheteurs ou vendeurs très représentatifs et je n’étais pas non plus dans le souci d’une « arche » dramatique. Je me suis juste polarisé sur cette opposition de l’ancien et du moderne, avec, d’un côté cette très belle maison du XIXème, bruyante, pleine de fêlures ; et de l’autre, cet appartement tout blanc insonorisé, en essayant de faire en sorte que cela travaille à l’intérieur, qu’une scène ne tombe jamais dans la monosémie. 

Quand Florence Muller, qui joue l’infirmière, explique au personnage de Karin Viard, que sa mère sera incapable de distinguer la télécommande de la télévision avec celle des stores électriques, Karin commence par en rire puis se rend compte que l’autre en pleure et tout cela n’est pas drôle, cela devient inconfortable, ça travaille. C’est toujours plus intéressant quand le spectateur se confronte au contradictoire. Ici, qu’il y ait des failles dans le neuf et de l’espérance dans l’ancien. 

Revenons au scénario. Vous écrivez toujours de cette façon, très rapidement ? 

En fait, il y a toujours un temps de gestation assez lent où j’accumule des notes. Mais la phase d’écriture est souvent rapide. Je n’arrive pas à écrire un peu chaque jour, j’ai besoin d’être concentré, à cent pour cent. WAHOU ! a été une expérience particulièrement heureuse : j’étais dans l’urgence, je me suis autorisé la légèreté, une sorte de gratuité, sans chercher du sens ou de la morale. J’ai écrit dans l’ordre du film. J’entrais dans les scènes sans savoir comment je les finirai ; Les personnages s’invitaient dans mon histoire, je n’avais pas de programme. C’est une expérience que j’aimerais reproduire. 

Pourquoi une telle urgence ? 

Le film que je devais tourner il y a un an – et que je démarre en ce moment – a dû être reporté ; il me fallait attendre que les comédiens soient libres. J’avais du temps, Pascal Caucheteux mon producteur, m’a proposé de tourner un film « plus simple » en attendant. Je lui ai proposé plusieurs idées et nous en avons choisi une possible dans nos délais. Aubaine : j’avais à ma disposition une maison que je connaissais bien et qui allait être bientôt mise en vente. Ça a été un incroyable concours de circonstance. Et une vraie course contre la montre. Le film devait se tourner rapidement ou je perdais le principal décor. 

La mise en scène est très imprégnée par cette dualité évoquée plus haut. 

Pour les scènes de l’appartement, les comédiens n’avaient aucun point d’appui, ni objet ni siège pour se donner une contenance. Ils se trouvaient en carafe comme on dit. Ça me plaisait beaucoup. J’avais, du coup une bonne liberté de filmage, dans cette lumière blanche, cela me permettait de valoriser les détails – un vêtement, une scène étrange, comme celle, par exemple, où mon frère Denis traverse plutôt qu’il ne visite l’appartement avec sa mine contrariée et son silence. Cela valorise la lumière : Roschdy Zem, passe de la pénombre à la clarté en imaginant qu’il puisse être bientôt grand-père. 

La maison m’offrait évidemment un éventail de choix plus large : ces grandes fenêtres un peu en cinémascope, ces arrivées de jour, cet escalier… Le décor structurait nos plans. 

J’ai tenu à systématiser les arrivées et les sorties en filmant à chaque fois la route en longues focales, un peu comme un plateau de théâtre où les personnages arriveraient par le fond, au centre. On les voit arriver avec des véhicules différents : voitures, vélo, vélo électrique, scooter, skate. J’ai filmé cela comme des ouvertures et des fermetures, pour scander le film.

Comme toujours, on retrouve dans le film les acteurs avec lesquels vous avez l’habitude de travailler. 

Ce qui me touche, c’est qu’ils acceptent toujours alors que parfois je ne leur propose pas grand-chose – juste une scène dans un taxi pour Isabelle Candelier dans LES DEUX ALFRED par exemple. Il arrive que certains ne soient pas disponibles – c’était le cas pour Michel Vuillermoz sur WAHOU ! Et il ne sera pas non plus hélas dans le suivant. C’est comme dans les fêtes : Untel ou Unetelle ne seront pas là, mais d’autres oui, qui n’étaient pas conviés d’habitude. Je tiens beaucoup à la présence de ces nouveaux invités. 

C’est le cas d’Eddy Mitchell. 

Je ne m’attendais pas à sa réponse si rapide. Eddy a lu le scénario très vite et m’a dit : « C’est charmant, je le fais ». Il m’a reçu chez lui et a lu le texte comme Lino Ventura aurait pu le lire, avec beaucoup de pudeur et de simplicité. Je le sentais curieux, il aime être dépaysé, je crois ; et très heureux de reformer un couple avec Sabine Azéma après LE BONHEUR EST DANS LE PRE, d’Etienne Chatiliez. Eddy a une grande affection pour Sabine. 

Je tenais beaucoup à ce qu’il joue au piano « Au bar du Lutetia », sa chanson écrite en hommage à notre cher Gainsbourg. Eddy a été formidable. Il a aussitôt appelé son compositeur Michel Amsellem pour que celui-ci adapte le morceau en instrumental et qu’il nous en donne les droits. Ça m’a beaucoup touché.

Vous n’aviez plus tourné avec Sabine Azéma depuis LE PARFUM DE LA DAME EN NOIR…

Et c’est d’autant plus étrange qu’elle est tout le temps dans mon esprit et que je guette chaque fois l’occasion de la faire jouer. J’ai tout de suite pensé à elle pour le personnage de Sylvette qui est très habité par le souvenir des films d’Alain Resnais SMOKING/ NO SMOKING, ON CONNAIT LA CHANSON… Sabine, qui raffole de tout ce qui est anglais, adorait la maison où nous tournions ; elle aimait y être, y rester, elle y était heureuse. Souvent, quand je tournais des scènes avec Isabelle et elle, je n’arrivais pas à dire « Coupez ! » Elles continuaient de jouer, c’était euphorisant. 

Vous jouez à nouveau un rôle important – celui d’Oracio. 

Curieusement, je ne me sens toujours pas acteur. C’est une commodité de jouer. Je me sens un peu comme un homme caméra, un relais, un passeur, un vecteur. Comme disait Truffaut quand il jouait lui même dans L’ENFANT SAUVAGE : la mise en scène se fait de l’intérieur. Il me semble que je joue mieux en pensant un peu comme metteur en scène et le metteur en scène est plus détendu puisqu’il est de temps en temps occupé à jouer. J’aime l’oscillation, la liberté que cela procure. 

C’est la troisième fois que vous collaborez avec Patrick Blossier. Toujours cet esprit de famille ? 

Je n’aime pas tellement ce mot famille, il me semble trop enfermant, j’aime penser que nous avons tous une grande liberté les uns envers les autres. 

Pour vanter la lumière de Patrick ou même la qualité des techniciens qui l’entourent, je pourrais plutôt parler de son humour. Un humour qui peut éclairer une scène, synthétiser une humeur. Une malice très pragmatique, une lumière qui se fonde souvent sur une seule source lumineuse, sans chichis, sans jolis contrejours etc. Voilà : lui et moi partageons un plaisir d’humour. 

Le montage a-t-il été étape difficile ? 

J’avais mal vécu l’expérience de BANCS PUBLICS, qui était, lui aussi, constitué de scènes assez indépendantes mais imbriquées tout de même. J’appréhendais d’autant cette étape que le montage de BANCS PUBLICS avait duré un an, que je m’y étais perdu en voulant tout chambouler, gommant son chapitrage, et surtout en coupant trop. A l’arrivée, le film aurait dû être plus long, assumer son déploiement et afficher sa structure. 

On a souvent envie de tout reconsidérer au montage pour voir si le film résiste. Et il m’est arrivé plus d’une fois de faire des circonvolutions avant de revenir à mon intuition première qui est tout simplement le scénario. Ici il est nettement plus court et j’ai ritualisé les « tournés de page » par des photos que j’ai prises des deux lieux. 

Un mot sur la musique… 

Le piano s’imposait pour ce film et j’en suis ravi car c’est un instrument que j’ai jusque là craint d’utiliser parce que je le trouve très vite mélancolique. Or, c’était justement cette sorte de rêverie que je recherchais pour le film ; des accords en mineur pour un film mineur. Cela a été un plaisir de retrouver Schubert et Bach. 

Vous voyez WAHOU ! comme un film à part ? 

Oui, mais cela pourrait être assez prétentieux de ma part, si je pense à GARDENS OF STONE ou PEGGY SUE GOT MARRIED de Francis Coppola (sans le Ford) qui sont des bijoux. 

WAHOU ! est simplement un film tourné vite, en quatre semaines, par rapport au prochain qui demande davantage de moyens. 

Quand démarre le tournage ? 

Dans quelques jours. Il se déroule sur les canaux fluviaux de Bourgogne. J’y retrouve Sandrine Kiberlain, mon frère Denis et je vais tourner pour la première fois avec Daniel Auteuil.

(Dossier de presse) 

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