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L'amour et les forêts

Entretien avec Melvil Poupaud, acteur

Comment vous êtes-vous préparé pour ce rôle? 

Comme je le fais toujours. D’abord en sachant mon texte au cordeau, ensuite en choisissant méticuleusement mes costumes avec la chef costumière et un tailleur très cinéphile qui me les coud sur mesure. Pour être à l’aise, mais surtout pour dessiner une ligne du personnage, comme une sculpture. Définir une silhouette, une façon de se tenir, une démarche, des postures. Un costume large ou serré, des baskets ou des chaussures en cuir, ça raconte des choses très différentes. C’est là, pour moi, où le personnage naît. Je ne le trouve pas seul dans ma chambre, je le trouve sur le plateau, quand j’ai le bon costume, quand je sais où est la caméra et quel objectif on utilise. La préparation, pour moi, est avant tout une recherche esthétique. 

Que cherchiez-vous précisément pour incarner Grégoire Lamoureux? 

Je cherchais une rigueur, une rigidité. Ce que Valérie désigne par le côté «petit monsieur » de Lamoureux. J’ai pensé à des personnages de Chabrol, à Jean Yanne et surtout Michel Bouquet dans LA FEMME INFIDÈLE, par exemple. Je voulais créer un salopard de cinéma. Propre sur lui, sec, tendu. Un homme d’apparence paisible, mais profondément noir à l’intérieur. Qui pense qu’il va tout contrôler, tout maîtriser. Que sa femme c’est sa femme, sa bagnole sa bagnole, ses enfants ses enfants. Ça correspondait à ce que Valérie avait en tête, donc on s’est vite compris. Elle voulait que Lamoureux soit stylé, pas neutre, parce qu’il y a aussi dans son film un côté conte de fées qui tourne au vinaigre : elle épouse le prince charmant, et puis le prince charmant se révèle être un loup déguisé. L’ambiance, les clairs obscurs, les travellings, cette maison angoissante : tout ça donne aussi un aspect un peu irréel. Ça nous a portés, Virginie et moi, pour nous éloigner du naturalisme dans le jeu, être en osmose avec la mise en scène de Valérie, qui cherchait elle aussi à s’affranchir du naturalisme par le style et le mélange des genres : drame amoureux, suspense hitchcockien, conte, huis clos…

Mais avant de se révéler en loup, Lamoureux est d’abord un personnage séduisant. 

Oui, c’est au cœur du récit, cette ambivalence qui enclenche une mécanique mortifère. Ce sont des choses très familières au fond. On a tous connu des gens séduisants et troubles en même temps. On a tous senti qu’il ne fallait pas aller vers une personne, et puis on y est allé quand même… On peut être dépassé par la séduction de l’autre, comme on peut être dépassé soi-même par un mauvais penchant, quand par exemple on a envie de faire une réflexion blessante : on la retient, et puis finalement elle sort toute seule. Le film est très subtil sur ces zones noires avec lesquelles, même sans être un grand malade comme Grégoire Lamoureux, on a tous flirté un jour ou l’autre. De même qu’on n’est jamais loin d’accepter quelque chose d’inacceptable, justement parce qu’elle vient d’une personne séduisante. Alors il faut s’armer, être capable de dire stop au bon moment, sinon quand le loup a mis un pied dans la porte, on est foutu. C’est tout cela que raconte le film, c’est là où il nous questionne tous. Et pour raconter cela, il faut trouver, dans le jeu comme au montage, les points de bascule. C’est un dosage difficile parce qu’il ne faut pas dévoiler tout son jeu, surjouer la menace avant la bascule. Une fois la bascule accomplie, c’est plus facile, on se lâche dans le rôle du méchant, on laisse le salaud prendre le dessus. 

Comment avez-vous senti que vous teniez votre personnage? 

Au bout d’un certain temps de tournage, je me suis rendu compte que lors des prises mon regard sur Virginie, qui est une amie, n’était plus mon regard à moi. C’était un regard de haine, de mépris. Ça ne passait plus dans une mimique, un geste, un dialogue, ça passait dans les yeux. Alors là je sentais que j’étais vraiment dans l’espace du jeu, je sentais le méchant en moi : j’étais content, et content que ça s’arrête! 

Cela suppose une grande confiance entre partenaires de jeu. 

Bien sûr. Je connais Virginie depuis longtemps et nous avions joué ensemble dans VICTORIA de Justine Triet, donc nous étions très heureux de nous retrouver. Notre proximité a sans doute convaincu Valérie de nous mettre l’un en face de l’autre, et pour Virginie c’était rassurant. Il n’y avait pas de zone d’ombre entre nous, donc on pouvait se permettre d’aller loin ensemble dans des scènes parfois très violentes. D’autant que Valérie tourne beaucoup de plans séquences. Une dispute de 6 minutes, c’est un orage, il faut aller au bout! C’est l’amitié qui rend cela possible, et se sentir investi d’une sorte de mission en racontant cette histoire. C’était un tournage léger et joyeux, alors qu’il y a beaucoup de violence visible et invisible. 

Comment Valérie Donzelli vous a-t-elle dirigés, sur le plateau? 

Pour moi ce n’est pas tant une affaire de direction d’acteurs que de confiance. J’ai assez de métier pour savoir quand je peux faire confiance à 100%, et là j’ai senti dès les premières prises que Valérie était inspirée, portée par son film, et qu’elle avait une qualité essentielle pour un metteur en scène : savoir entraîner son équipe avec elle et maintenir une grande concentration sur le plateau. Elle peut être assez directive, mais elle est surtout très instinctive, capable de se retourner très rapidement : si quelque chose ne fonctionne pas, on trouve vite autre chose, une idée qui relance le tournage. Cela permet de garder le rythme, d’être toujours sur le qui-vive. Dans ces conditions, je pouvais me fier à ses indications et les suivre à la lettre, sans ergoter sur les intentions de jeu. Car plus les années passent et plus je sens combien c’est le corps qui joue : silhouette, rythme du phrasé, postures, voix, démarche, regard. Quand on a confiance dans son metteur en scène, qu’on sait bien son texte et qu’on a bien intégré la technique – le placement de la caméra et de la perche, la focale, etc. – alors il n’y a pas besoin d’intentions de jeu : on lâche prise, on ne pense plus à rien, on glisse.

(Dossier de presse) 

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