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L'amour et les forêts

Entretien avec Virgine Efira, actrice

Comment avez-vous réagi à la lecture du roman d’Éric Reinhardt puis à celle du scénario ? Et qu’est-ce qui vous a poussée à accepter le rôle de Blanche ? 

Avant tout cela, il y avait une envie de travailler avec Valérie Donzelli, ou plutôt le pressentiment qu’on allait le faire, depuis que nous nous étions croisées sur le tournage de MADELEINE COLLINS. Elle est arrivée à moi avec le livre comme pour me sonder, sans être alors certaine d’en tirer un film. J’ai trouvé le roman passionnant mais il y avait plein de films possibles et il fallait trouver une direction. Nous avons échangé et deux choses émergeaient : la confidence, le fait de s’ouvrir à l’autre, et la mécanique de l’emprise. Ensuite elle m’a fait lire le scénario et j’ai vu qu’elle avait su trancher, prélever des choses du livre. Ensuite, ce qui me pousse à accepter un rôle, c’est surtout une affaire de confiance envers le cinéaste. On se laisse porter par la certitude, c’est vous seule qui pouvez incarner ce personnage. Alors j’accepte un rôle parce que je sens quel film est en train de se faire, davantage qu’en fonction du personnage. 

Comment vous êtes-vous préparée avant le tournage? 

Je n’ai pas de certitudes, alors avant un tournage j’essaie plein de choses différentes. Je travaille parfois avec un coach, et c’est ce que j’ai fait pour ce film. C’est comme un sparring partner, je lance la balle et il reçoit, j’essaie et il regarde. C’est tout un travail en amont auquel on n’a plus accès au tournage, mais qui va rester. Et qui continue sur le plateau, où rien n’est figé. J’ai besoin de me défaire de l’idée de bien faire, et qu’il n’y a qu’une solution de jeu. Je ne veux pas prendre le risque de me dire : voilà où est le personnage, et voilà la bonne manière de le jouer, sinon chaque prise peut être ratée ou réussie et c’est une mauvaise pression. 

Sur quoi vous-êtes-vous appuyée, alors, pour incarner Blanche? 

Il fallait commencer par évacuer toute idée préconçue et stéréotypée de «la victime», et chercher à donner une identité précise, singulière à cette personne-là. Alors on s’appuie sur nos propres vies mais sans en avoir conscience, sans le formuler, et sans chercher à tout prix à calquer son interprétation sur son vécu personnel. Ce serait terrible si, dans le jeu, on était condamné à ne reproduire que des choses qu’on a vécues! Les biographies de chacun, acteurs et personnages, n’ont pas tant d’importance au fond. Nos émotions, nos souvenirs, la mémoire du corps, ça représente peutêtre une part infime de notre manière d’interpréter un rôle, mais c’est toujours bon à prendre, ce sont autant de portes d’entrée. On joue avec ce qu’on reconnaît, chez soi, chez les autres, chez le personnage. Tout ce qu’on peut attraper. 

Qu’avez-vous attrapé, chez Blanche? 

Le film dresse un portrait très subtil de ce personnage, dans lequel chacun peut percevoir des choses qu’il connait ou reconnait et qui, chez elle, s’entremêlent. Tout ce qui la rend à la fois forte et vulnérable, comme cette tendance belle et dangereuse à composer avec ses émotions. Par exemple dans la scène de la frange où l’envie d’être là, avec cet homme, prend le pas sur la petite vexation : c’est pas si grave, les cheveux ça repousse… Le film raconte une histoire très forte, extraordinaire, mais il travaille une matière ordinaire qui nous est familière. Parce qu’on a tous expérimenté le manque de confiance et d’estime de soi, sentir à la fin d’une phrase qu’on regrette déjà de l’avoir commencée. Interpréter Blanche, ça suppose de jouer avec les autres parce que c’est un personnage privé d’élan, coupé de sa spontanéité et ne cesse de s’adapter aux situations, à ce que disent et pensent les autres. Elle est introspective, solide, armée par la littérature, elle a un endroit où se réfugier, un endroit de grande tolérance de l’autre – de trop grande tolérance peut-être. Elle a, comme tout le monde, un mouvement de résistance. Mais ce mouvement va-t-il être actionné? Ou bien, qu’est-ce qui l’empêche? À quel moment commence-t-on à être faux par rapport à soi-même? Cette sorte de chambre à soi qu’on a à l’intérieur, est-ce qu’on laisse quelqu’un y entrer ? Il y a quelque chose chez elle qui a à voir avec la honte mais aussi la politesse, une sorte de jusque-boutisme de la politesse qui nous fait transiger avec les situations. Ce sont des choses qui me touchent et dont nous avons parlé avec Valérie. Voilà, on joue avec tout ça, on se nourrit de tout ce qui nous affecte, consciemment ou pas. 

Et tout cela s’imprime dans le corps de l’acteur. 

Oui, mais au-delà du jeu d’acteur, c’est le cinéma qui agit. Parfois le plus intéressant, ce n’est pas les pleurs de l’acteur, c’est plutôt ce qu’il en reste, le rouge de la peau, ce que la caméra capte. Comme tous les comédiens, je suis sensible à la lumière, à la peau, au visage, et j’ai aimé le traitement de Valérie et de son chef-opérateur Laurent Tangy. La façon de regarder et filmer un visage, c’est du cinéma, ça raconte quelque chose. On a commencé le tournage par les scènes les plus violentes. Je n’aime pas la rhétorique de l’acteur qui vit les scènes comme une épreuve, où il se met «en danger», etc., mais là je dois dire que c’était comme monter dans un petit train de l’horreur! D’autant que Valérie tourne beaucoup en longs plans séquences, mis en scène avec une incroyable précision, où l’acteur est au centre. On sait bien que c’est du jeu, surtout avec un partenaire en qui on a confiance, mais quand même les gestes sont là, ils s’impriment dans la mémoire du corps. On finit avec de la vraie salive sur le visage. Heureusement j’avais face à moi Melvil, et je sais comme il est doux. Mais c’est une violence très intime. Elle s’imprime dans le corps pour la suite du tournage. Alors quand on finit le tournage par la Normandie, la partie solaire du film, quelque chose reste. Dans le corps, le visage, les expressions. Tout ce qui donne de la chair à cette histoire.

(Dossier de presse) 

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