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Los reyes del mundo

Entretien avec Laura Mora, réalisatrice

Vous avez choisi de tourner dans la région du Bajo Cauca, réputée dangereuse ? Pourquoi ce choix ? 

Je ne sais pas combien de personnes m'ont dit que je ne pourrais pas tourner à Bajo Cauca, mais je n'ai jamais abandonné. C'était peut-être le premier acte politique de ce film. Prouver qu'il ne devrait pas y avoir de territoires interdits, qu'il ne devrait pas être impossible à quiconque de connaître la beauté, c'est aussi un acte de résistance. Et confi rmant que d’une certaine manière, le pouvoir des violents réside aussi dans leur construction de la rumeur même de la violence, en créant tellement de peur qu’elle empêche le contact avec le territoire. 

Nous avons tourné dans les villes d'Antioquia de Santa Rosa de Osos, Yarumal, Ventanas, Puerto Valdivia, Caucasia, Nechi, où nous avons dû surmonter des glissements de terrain et le débordement de la rivière Cauca, la deuxième plus grande rivière de Colombie. Et également dans les rues du centre-ville de Medellín avec la participation de travailleuses du sexe, et de retraités. 

La violence est omniprésente dans votre film. Vos comédiens ont-ils apporté leur propre expérience de la violence pour jouer leurs personnages ? 

Les jeunes acteurs de mon fi lm avaient entre 15 et 22 ans et n'avaient aucune expérience. Pourtant ils apportent avec eux leur vérité, leurs vécus, leurs rapports à la violence, et ils mettent tout leur charisme et leur beauté au service de leurs personnages.

J'ai le sentiment que l'histoire, en particulier l'histoire de la Colombie, nous a montré que la violence est une sorte d'héritage masculin, inhérent aux hommes. 

C'est difficile, surtout pour les jeunes de certains milieux. Au final, ils ont tous vécu cette guerre. Une bande de jeunes gamins démunis, combattant et défendant leurs intérêts face à des hommes puissants. 

Masculinité et violence… Comment avez-vous travaillé ces thèmes avec vos personnages? 

J’ai aussi abordé la reconnaissance des émotions, de la tendresse, de la fraternité dans cet univers masculin. On dit aux hommes qu'ils doivent prendre les gens et les choses par la force. Pour être un homme, ils doivent conquérir un coin de rue ou déplacer des villages entiers, être le patron, prouver constamment leur pouvoir. Cela fait partie de ce que nous considérons comme la masculinité en Colombie. 

Et puis d'un coup, ces mecs rompent un peu avec ça, s'embrassent, se montrent du soutien, de l'affection ; ils peuvent penser collectivement, mais ils se battent tout aussi facilement. J'ai l'impression que le conflit est toujours là, inévitable ; il leur est difficile de se remettre de tout ce qu'ils ont vu et appris dans leur vie. Et se battent avec eux-mêmes. 

Comment avez-vous réussi à gagner la confiance de ce groupe de jeunes hommes et jeunes garçons et à établir une relation aussi proche? 

ll est difficile de gagner leur confiance, surtout dans un pays où elle a été constamment ébranlée, elle nécessite une constante attention. La société a tellement laissé tomber ces enfants, même avant leur naissance, qu'ils ne font confiance à personne. Et pourquoi le devraient-ils ? C'est pourquoi il faut s’engager sans cesse, tenir parole, ne pas échouer. 

Je ne peux pas, et ce serait irresponsable de ma part de prétendre que l'expérience de faire un film puisse changer la réalité de n'importe qui. La vie et la réalité sociale dans notre pays sont trop complexes. Je ne peux et ne veux pas apparaître comme une sauveuse. Cela me semblerait présomptueux de toute façon. 

J'ai donc été très honnête avec eux à propos de tout cela. Je suis sûre que l'expérience sera inoubliable pour nous tous et j'espère qu'elle sera inspirante, mais je ne peux pas garantir qu'elle changera leurs réalités. Et cette honnêteté renforce la confiance. 

Tout ce que je peux leur garantir, c'est qu'ils savent qu'ils ont une amie qu'ils peuvent appeler. Je ne pourrais peut-être pas résoudre leurs problèmes, mais je serai là pour eux, je les écouterai, je célébrerai leurs victoires, je leur ferai un câlin. C'est tout ce que je peux humainement offrir. Et pour moi, avoir un autre ami dans la vie est très précieux, ça me fait me sentir un peu moins seule. 

Pouvez-vous nous parler de ce grand voyage dans LOS REYES DEL MUNDO ? 

Dans l'histoire colombienne, on nous a raconté comment les gens, des villages ont été déplacés. Au contraire, dans LOS REYES DEL MUNDO, je voulais raconter une histoire de retour, de la recherche d'un endroit où on serait en sécurité. C'est une aventure très romantique, la recherche d'une « Terre promise », de rêver de la possibilité de la justice, de croire que peut-être notre État perpétuellement absent pourrait enfin tenir une promesse. J’ai l'impression qu'au fond de nous, nous cherchons tous un endroit où nous nous sentons en sécurité, où nous pouvons être libres. 

Le film traite de nombreux concepts différents, à la fois le sentiment d'appartenance, le territoire et l’affection. Comment les avez-vous liés? 

Lors du casting de MATAR A JESÚS, mon premier film, les garçons ont été interrogés sur leur plus grand désir et une réponse revenait sans cesse : avoir un lieu à eux symbolique ou physique, un endroit où personne ne les dérangerait. Cela a attiré mon attention. Comment quelque chose que nous tenons pour acquis devient-il impossible pour une société ou pour certains individus ? Ainsi, LOS REYES DEL MUNDO est basé sur la recherche de ce lieu symbolique et physique où l'on peut être libre. 

Ces désirs, exprimés par ces jeunes, semblaient avoir trouvé un écho à mes questions sur la dépossession des terres en Colombie, sur tous ceux qui ont perdu une place dans le monde à cause de la violence, et sur l'appareil judiciaire qui n'a pas réussi à les soutenir dans leur demande de justice. 

Dans la recherche de la « Terre promise » proposée dans le fi lm, ces cinq garçons rencontrent d'autres personnages vivant également en marge, eux aussi abandonnés par l'État et marqués par la violence, et qui deviennent de petites "îles" qui les accueillent, qui habitent la frontière entre réel et imaginaire, où nos protagonistes trouvent un peu d'affection, quelque chose en ruine qui contient dignité et beauté. J'ai l'impression que ce film est mon ode à la beauté que je trouve dans l’exclusion, la marge, dans ce paysage battu, cette résistance que je trouve dans ces lieux et ces gens à la périphérie. 

Vous vous défi nissez comme très « contrôlante ». Comment cela s'est-il passé compte tenu du casting et des conditions de tournage ? 

Quand j'ai commencé à travailler avec le directeur de la photographie David Gallego, c'est une des premières choses qui s’est imposée à moi : c'est un film où on ne peut pas tout contrôler.

Le résultat est que certaines scènes se sont avérées totalement différentes de ce que nous avions imaginé. 

Dans l'ensemble, ce film est peut-être la chose la plus extrême que j'aie jamais faite.

(Dossier de presse) 

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