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Los reyes del mundo

Note d'intention de la réalisatrice

Le cinéma me permet d'essayer d'établir un dialogue réfl exif et poétique avec le monde. Grâce au langage cinématographique, j'ai trouvé le moyen de sonder les émotions et les contradictions humaines, d'interroger ce qui m'inquiète et m'émeut.

MATAR A JESÚS, mon premier fi lm, est né d'une expérience personnelle extrêmement douloureuse : l'assassinat de mon père en 2002. Ce fut une expérience cathartique libératrice qui m'a permis de continuer à creuser depuis, d'autres points de vue, des sujets autour de la violence. Mon point de vue et ma relation au monde sont sans aucun doute liés et altérés par le fait d'être née dans un pays aussi particulier que la Colombie, où la beauté et la violence semblent se confondre.

Depuis des années, les images de jeunes garçons des rues qui sillonnent le pays en semant chaos et anarchie, passant par un fl euve comme le Cauca, m'ont habitée dans une sorte de fascination inquiète avec cette jeunesse démunie et le paysage hostile du Bajo Cauca que j'ai parcouru des milliers de fois.

Petite, lors de ces trajets en voiture où nous traversions les montagnes, ce n'était pas le fait d'arriver jusqu’à la côte que j'attendais avec le plus d’impatience ; c’était cet étrange et violent changement entre Medellin et Caucasia qui me faisait me coller le visage à la vitre de la voiture. Je m'en souviens très précisément.

Petit à petit, au fil du temps, ces images se sont entremêlées et ces jeunes garçons traversant le Cauca construisirent leur propre logique et leur propre monde.

En faisant le casting d'acteurs non professionnels pour MATAR A JESÚS, je me suis rendu compte que parmi les 90 garçons auditionnés (la plupart venant de la rue), tous partageaient un terrible sentiment d'exclusion et la certitude de n'avoir aucun futur. Néanmoins, comme une profonde contradiction, ils débordaient de vie et de rêves délirants toujours liés au même désir : l'obsession de se faire une place dans le monde.

Après le tournage de MATAR A JESÚS, j'ai entrepris un voyage vers la côte pour voir la mer. Et en arrivant dans la ville de Ventanas, où la cordillère est plongée en permanence dans un nuage qui semble ne jamais s'éloigner, j'ai sombré dans un profond mutisme. J'ai cessé de parler à mon compagnon de voyage, et j'ai vu ces garçons qui portaient à présent le visage de ces 90 garçons rencontrés pendant le casting. Je les ai vus traverser ce paysage, émerveillés, à la recherche d'une place dans ce monde. Des images puissantes me sont apparues. Quelques heures plus tard, sans dire un mot, je me suis arrêtée, j'ai sorti mon carnet et j'ai écrit les premières notes de cette histoire : « Nous sommes les rois du monde ».

De là sont apparues des questions que je m'étais toujours posées sur la violence liée à la possession de la terre, symboliquement et historiquement. Le point névralgique du conflit en Colombie est précisément celui-ci : un peuple dépossédé de ses terres par des propriétaires terriens. Des grandes élites et des groupes armés qui forment la base d'une société extrêmement inégalitaire. C'est pour cette raison que l'idée d'un groupe de cinq enfants des rues, que la société a toujours exclus et dont le désir le plus cher est de réclamer une place dans le monde où être libres et en sécurité, me semblait une manière de traiter l'histoire de cette violence et de rendre hommage à l'énergie de ce groupe de dépossédés. Une façon poétique pour eux de se venger du monde qui les a affectés si durement. Revendiquer ce qui est à soi, sa terre, est à la fois l'acte le plus politique, le plus rebelle et le plus honnête. 

Nous avons contribué à bâtir un monde qui continue de repousser les gens à la marge. Une structure de classes qui se rétrécit de plus en plus, où le capitalisme est devenu une forme de société violente très attirante et à laquelle de moins en moins de personnes ont accès. 

Et pourtant, l'être humain trouve toujours le moyen de nouer des relations amoureuses et amicales. Quand il est chassé du cadre, la solidarité et l'idée de liberté se mettent à pousser au fond de lui, de manière simple, au plus intime. Apparaît alors ce bourgeon d'idéal romantique qui nous pousse à réclamer ce qui nous a toujours été refusé. 

En tant que femme, je suis profondément fascinée par l'exploration cinématographique de ces comportements le plus souvent liés à une masculinité brute qui condamne un homme dès sa naissance à devoir être violent. Je suis fascinée par ce besoin de conquête territoriale, mais aussi par les liens qui unissent ces jeunes hommes, leur affection, leur rage et leurs frustrations, comment ils tentent de s'entraider entre frères quand la présence féminine semble si lointaine.

Au cours de leur périple, quittant la ville pour traverser la cordillère afi n d'atteindre leur terre « promise », accompagnés par la beauté de ce paysage tant disputé, suivant la noble obsession de Rá, le personnage principal de notre histoire, ils découvriront que la seule terre qu'ils pourront conquérir est celle de l'imagination, de l'affection et des rêves. Le territoire de l'âme. Ils découvriront que l'idée de poursuivre leur quête, à mesure que le groupe se délite et disparaît, est une façon d'honorer ceux qui ne sont plus là. 

Je songe à ces rois sans royaume, à ce voyage vers le néant où tout est possible, au cours duquel ils découvriront la sagesse auprès d'un paysan, la chaleur des femmes au milieu de nulle-part, mais aussi la brutalité des hommes qui se sont appropriés des terres confi squées, ainsi que la mort comme façon d'atteindre une certaine dignité. À travers tout cela émane l'histoire de ce territoire, qui tente toujours de comprendre sa propre nature et de construire son identité.

J'ai gardé contact avec plusieurs jeunes garçons rencontrés lors de ce casting, en particulier avec Rá. Une relation de profonde amitié s'est construite entre nous. Nos interminables conversations pleines de franchise et la certitude que chaque rencontre puisse être la dernière ont, d'une certaine façon, inspiré cette histoire.

Laura Mora

(Dossier de presse) 

Los reyes del mundo

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