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Sur les chemins noirs

Entretien avec Denis Imbert, réalisateur

COMMENT EST NÉ CE PROJET ?

Il existe toujours entre deux films une période de jachère, de transition, qui est assez inconfortable. Une espèce d’errance totale, faite de doutes et de réflexions, il faut apprendre à l’accepter. C’est au cours d’une de ces périodes que j’ai découvert Sur les Chemins Noirs. J’ai lu tout ce que Sylvain Tesson a écrit. Lorsque j’ai appris l’accident de Sylvain Tesson à Chamonix, cela m’a touché. C’était à la fois extraordinaire et terrible. A la lecture des Chemins Noirs, j’ai eu l’impression que Sylvain avait touché terre, qu’il était redevenu mortel. Le projet est né à la sortie du confinement. À un moment de ras-le-bol de la vie urbaine et ce besoin de se reconnecter avec la nature. Avec cette diagonale du vide que Sylvain Tesson traverse et ce désir d’embrasser l’hyper ruralité, je savais qu’il y avait un sujet de film. 

VOUS ÊTES UN GRAND AMATEUR DE LA LITTÉRATURE DE SYLVAIN TESSON. COMMENT LE PERCEVEZ-VOUS COMME ÉCRIVAIN ? 

Pour moi, c’est un auteur universitaire, l’écrivain voyageur par essence. Mais il n’aborde que très rarement l’intime et lorsqu’il l’aborde, pour le lecteur c’est un travail d’archéologue. Dans tous les récits de Sylvain, on est avec lui. Il a cette faculté étonnante de nous faire voyager. Mais on sait peu de choses de ce qu’il ressent réellement. Avec Sylvain, il faut y aller au marteau piqueur, à la masse. Casser pour briser le schiste ou le calcaire et trouver un ADN de fiction d’intimité. Je me suis rendu compte à quel point ce récit était personnel et intime. 

Une sorte d’auto-fiction. 

QUEL A ÉTÉ LE POINT DÉCLENCHEUR DU DÉSIR ET DE L’ÉCRITURE DU FILM ? 

Il y a une phrase dans Sur les Chemins Noirs où il dit que la seule raison pour laquelle il voulait traverser la France, il la tient d’un morceau de papier froissé au fond de son sac. Cette phrase, qui est au début du livre, m’a hanté pendant des semaines. Je me demandais ce qui pouvait se cacher derrière cette phrase. Et je me suis dit, une femme forcément. Le fait qu’il y ait cet ADN d’intimité, et donc cette possibilité d’aborder l’intime, à mes yeux, cela pouvait être un film. Ce qui m’intéressait c’était cet aspect dépouillé, minimaliste du récit. Je trouvais cela vertigineux, d’écrire un film sur l’histoire d’un homme en mouvement. C’est un film particulier à fabriquer, de l’écriture, au tournage, au montage. Finalement, avec les premiers rushes j’ai compris ce que j’étais en train de faire. Ce qui a été révélateur ce sont les scènes de marche. C’était vraiment d’une narration absolue. Je savais alors que le film pouvait exister. 

COMMENT AVEZ-VOUS TRAVAILLÉ L’ADAPTATION ? 

La rencontre avec Diastème a été extraordinaire. Suite à la lecture de Sur les Chemins Noirs, il a choisi de s’occuper de tout ce qui était littéraire. Qu’il amènerait le squelette et moi la chair. J’ai ainsi apporté tous les flashbacks, toutes les histoires, la psyché du personnage, que j’ai pu me raconter autour du récit et qui sont venus nourrir la marche. L’écriture du scénario reposait sur une forte conviction : ce n’est pas l’histoire d’une résilience. C’est un état, un interstice, un temps arrêté d’un homme qui traverse un pays. C’est un livre et donc un film sur la réparation. Moi qui adore la nature au sens cinématographique du terme, je ne voulais surtout pas faire de carte postale. Il était interdit de filmer un guide touristique pour la France ou l’Office du Tourisme du Larzac. Mon obsession était la nature comme une matière, que le personnage disparaisse dans le paysage. En demandant à Sylvain comment il résumait son livre, il m’a répondu que c’était une conversation entre un paysage et un visage. A partir de là j’ai construit le film dans cette direction. Dès qu’on marche, lorsqu’on est seul, on est dans une introspection. C’est un voyage intérieur. Sylvain Tesson parle de l’énergie vagabonde. 

POUR REPRENDRE UNE EXPRESSION DE JEAN DUJARDIN, C’EST ÉCRIT ET FILMÉ À L’OS… 

Oui, complètement. C’est radical, à l’économie. Dans l’énergie du tournage et même dans cette idée de partir avec une équipe réduite de dix personnes au total. J’ai fait les repérages pendant le premier confinement car il était impossible pour moi de raconter cette histoire et de la filmer sans avoir fait le parcours. Je suis parti avec Arnaud Humann, le guide de Sylvain que je connais bien car je l’avais rencontré lorsque j’avais fait un film en tant qu’assistant en Sibérie. Nous l’avons fait en voiture, évidemment, mais aussi en marchant pendant plusieurs jours. C’était essentiel pour moi d’être dans les pas de Sylvain, d’éprouver la difficulté de la marche, la douceur du bivouac. C’est ainsi que nous avons convoqué les autres personnages. Lorsqu’on fait ce parcours, on rencontre un agriculteur, des chasseurs… Nous vivions avec le spectre de Sylvain et les mêmes rencontres. Et cela m’a vraiment permis d’éprouver le scénario, de le retravailler. Par exemple, pour la scène avec l’agriculteur, j’ai entièrement réécrit les dialogues suite à ma rencontre avec lui. Et j’ai fini d’ailleurs par l’engager pour tenir son propre rôle. 

C’EST UN FILM QUI ÉPOUSE LE BRUIT DE LA NATURE. QUASI TELLURIQUE… 

J’avais le désir profond de réaliser un film que l’on puisse écouter. On a fait énormément de plans de Jean marchant sur des pierres. Tesson dit « dis-moi sur quel sol tu vis et je te dirai qui tu es ». C’est vrai qu’il y a une géographie sonore. 

REVENONS AU FLASHBACK SUR L’ACCIDENT ET L’IMPORTANCE DE CES RENCONTRES QUI N’EXPLICITENT PRESQUE RIEN DE VOTRE PERSONNAGE MAIS SONT UNE MANIÈRE AFFÉRENTE DE LA RACONTER… 

C’est ça. Elles nourrissent et construisent le personnage. Ce qui m’intéressait c’est qu’on apprenne par les personnes qu’il rencontre qui est cet homme. Mais au sens profond de l’âme de celui-ci. Lorsque Sylvain est venu nous rendre visite sur le tournage, j’ai pu l’observer en société rurale avec des paysans, son aisance et sa disponibilité. Il se révèle par les gens qu’il croise. C’était très intéressant à creuser. En plus, mon personnage change peu voire pas du tout durant le récit. Au début, il est même un peu antipathique. Il n’est pas d’une générosité totale. Avec le personnage de la bergère au début du film, on voit qu’il y a une scène de séduction, d’échange. Mais on sent qu’il est sur la retenue, la défensive. Il passe son chemin. Pourtant on va comprendre plus tard que c’est un homme qui, en société, n’était pas insensible aux charmes des femmes qu’il pouvait rencontrer. Je voulais distiller des petites choses comme ça mais sans les appuyer. 

CHOISIR LE NON-DIT POUR CARACTÉRISER UN PERSONNAGE CENTRAL, CELA PEUT FRUSTRER LE SPECTATEUR… C’EST UN RISQUE. 

Ce que j’aime dans le film, c’est qu’à la fin on reste avec une part de mystère. Il y a des choses qu’on ne saura pas, qu’il ne nous aura pas confiées comme l’accident ou l’alcoolisme. Dans la scène de rupture avec cette jeune femme à l’hôpital, elle lui dit que ce n’est pas son accident qui va les séparer : c’est lui, c’est sa vie. Elle part et il ne la rattrape pas. Il ne s’excuse pas. Je trouve ça agréable de faire l’épure d’un personnage qui ne demande pas pardon. Qui n’est pas politiquement correct sans pour autant être outrancier. Il n’est pas infréquentable au sens strict du terme mais il est entier, humain tout simplement. 

LA MISE EN SCÈNE A QUELQUE CHOSE D’ORGANIQUE… 

C’était essentiel pour moi de pouvoir cadrer. Car sur un film comme ça, si l’on n’est pas proche avec la caméra de son acteur, il y a des choses que l’on ne peut pas lui dire, lui insuffler. On tourne à 360 degrés en permanence, on filme le personnage le long d’un vallon jusqu’à ce qu’il en disparaisse, on part du principe que tous les plans sont montables, donc il était impossible de ne pas être au cadre, voilà pourquoi je voulais le partager avec Magali Silvestre de Sacy ma cheffe opératrice. D’où aussi la volonté de ne tourner qu’avec une seule caméra. Cela contraint à peu découper, à faire exister les plans le plus longtemps possible et d’être également en mouvement. De n’être jamais dans le cliché du paysage, on filme un personnage qui traverse une vallée, pas l’inverse. D’où le côté organique. Je voulais éviter les débuts et les fins de scènes qui sont des pièges au montage. Lorsque Diastème est venu sur le tournage il m’a dit être soufflé du fait que je ne coupe jamais. Et en fait, c’était cela le film : poser une caméra, être avec son personnage qui est au coin d’un feu, il va sortir un livre, il va lire, le poser, fumer un cigare, remettre du bois… Et c’était vraiment cette longueur que je recherchais, elle permet à l’acteur d’abandonner ses réflexes d’interprétations, pour laisser l’inconscient agir. Toujours aller chercher cela. 

COMMENT CADRE-T-ON ? C’EST LE FRUIT D’UNE RÉFLEXION OU DU PUR INSTINCT ? 

L’idée principale est que c’est le personnage qui nous emmène quelque part. On est avec lui. C’est lui qui nous sort d’une séquence et on est toujours de son point de vue. C’est toujours lui qui regarde. Mon obsession c’était son visage. Je voulais toujours essayer de capter l’âme de l’acteur et du personnage. Dans un tel environnement, l’expression est simple. Il ne faut pas chercher à créer de la mise en scène, il faut juste trouver le bon cadre, et laisser faire le paysage. Il y a une plénitude, une force qui permet d’être posé. 

LE FILM SE FAIT PRESQUE PLUS DU POINT DE VUE DU PERSONNAGE QUE DE LA MISE EN SCÈNE, CE QUI ÉVITE LE PITTORESQUE. 

Le héros a un côté bête sauvage. Comme un loup observant la vie des hommes tout en se tenant à distance. De la même façon, dans la mise en scène je m’employais à le voir sortir d’un buisson, traverser la route et repartir dans un fourré comme un animal. Les chemins noirs, ce sont des tracés qui n’existent pas sur les cartes. Ce sont des sentiers qu’empruntent les animaux sauvages. J’aimais cette idée de traversée. La France a cette perspective, ces lignes de fuite incroyables. On peut marcher quatre jours sur des chemins de crête sans croiser personne. 

QUELLES ONT ÉTÉ LES CONDITIONS DE TOURNAGE ? 

J’ai eu la chance de pouvoir tourner le film aux mêmes dates que le périple de Sylvain. C’est-à-dire début septembre pour finir au mois de novembre. Le personnage n’est pas un errant. C’est quelqu’un qui marche, avec une carte et qui chaque jour accomplit un itinéraire. Il sait que s’il est pris par l’hiver il ne pourra plus bivouaquer ni dormir dehors, il doit tenir le rythme. J’espérais débuter avec les chaleurs de la fin de l’été et que petit à petit il serait rattrapé par le vent et le givre. Et évidemment on a eu un automne très doux à 12 degrés (rires). Mais heureusement on a eu de la pluie et du froid. Tout le pari du film était qu’il soit au début du film écrasé par la chaleur. Qu’il transpire. Et bien évidemment on a eu de la flotte (rires). Le problème du tournage du film c’est que l’on ne pouvait jamais  revenir en arrière. C’est horrible pour un réalisateur (rires). On a peut-être dormi une seule fois deux fois au même endroit. Il fallait avancer comme le personnage. Mais Tesson dit pour rester libre, il ne faut jamais dormir plus de deux fois au même endroit. (rires) 

NOUS AVONS ÉVOQUÉ UNE MISE EN SCÈNE À L’OS, SANS FIORITURE… 

Quand vous avez peu de moyens, ce qui, malgré les apparences, était le cas, c’est que vous allez à l’essentiel. Je n’avais pas de travellings, de logistique compliqués simplement parce qu’il était impossible d’emporter le matériel. Du coup, il n’y a pas d’interface, de contrainte logistique, qui vous éloigne de votre récit. 

LE SON APPORTE UN RÉALISME SEC, UN CÔTÉ GUTTURAL… 

C’est Marc Doisne qui a mixé le film. Et le choix de Damien Luquet à la prise de son (qui a d’ailleurs travaillé avec Terence Malick) était tout aussi important. Avec Damien, nous avions beaucoup préparé le film en amont et, sur chaque décor, nous savions exactement la matière dont nous avions besoin. Il a fait beaucoup de prises de son seul et avec Marc nous avons travaillé ensemble. Je ne voulais pas simplement valider un mixage, je voulais vraiment participer à la construction sonore du film. Par exemple, nous avons rajouté du vent pour donner la sensation du froid arrivant. Je rêvais que le spectateur ait envie de fermer les yeux pour encore mieux écouter et ressentir le film. 

VOUS AVEZ RECOURS À UNE VOIX-OFF. AUTRE PARI RISQUÉ… 

La voix off fait peur à tout le monde. Mais à l’écriture, c’était pour moi une façon de nourrir Jean. C’est quand même un personnage qui est en train d’écrire un livre. Et il était important qu’il y ait cette pensée intérieure. Sans en faire une caricature. Il y a donc beaucoup de choses sorties par mes soins du livre, que nous avons écrites avec Diastème et que nous avons replacées dans le scénario. Nous les avions préenregistrées. Je les ai passées à Jean durant le tournage par une oreillette. Puis nous avons tout retravaillé au montage. C’est à ce moment-là qu’elle s’est rééquilibrée. Et lorsque Sylvain a vu l’un des premiers jets du film, il s’est proposé pour réécrire quelques éléments de cette voix-off, c’est une grande chance. 

JEAN DUJARDIN, QUEL ACTEUR EST-IL ? 

C’est un acteur qui travaille énormément. Il s’agit d’être aussi rapide que lui, de se poser les questions avant qu’il ne se les pose, avoir les réponses. C’est quelqu’un de très disponible. Il n’y a que le film qui compte. C’était un instant d’abandon que je voulais saisir chez Jean. Je voulais le dépouiller. Qu’il n’ait aucune béquille. Il avait peu de choses concrètes à jouer. Mais je voulais que tout vienne de l’intérieur. Et pour cela, c’est un acteur magique. Il a cette faculté à se transformer. C’est un acteur du concret et du réaliste. Il faut qu’il éprouve les choses. Et il réagit très vite. 

ET COMMENT AVEZ-VOUS TRAVAILLÉ AVEC LES AUTRES COMÉDIENNES ET COMÉDIENS QUI NE VENAIENT QUE BRIÈVEMENT SUR LE TOURNAGE ? 

Je voulais absolument que les acteurs qui allaient jouer avec Jean arrivent la veille et dînent avec lui. Ils ont rencontré un homme plein d’empathie. Jean crée le lien où qu’il aille. A l’exception des plus aguerris, beaucoup se décomposaient à l’idée de lui donner la réplique. Alors que Jean est un excellent camarade de jeu. Il donne la perche, il met en valeur son partenaire.

(Dossier de presse) 

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