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Chili 1976

Entretien avec Manuela Martelli, réalisatrice

D’où vous est venue l’idée du personnage de Carmen ?

À l’adolescence, j’ai commencé à me poser des questions sur ma grand-mère maternelle, que je n’avais jamais rencontrée. Il y avait un parfum de mystère autour d’elle. En parlant avec ma nounou Idolia (la nounou est une institution dans les familles de la classe moyenne supérieure au Chili), j’ai découvert que ma grand-mère s’était suicidée. Ma famille l’expliquait comme la conséquence d’une longue dépression, mais le mystère portait moins sur son suicide que sur l’intuition qu’elle était une femme au foyer incapable de s’épanouir dans ce rôle. C’est en voulant comprendre les raisons de ce suicide que m’est venue l’idée du film et de son personnage principal. 

Pourquoi avez-vous choisi de raconter ce moment particulier de l’histoire du Chili du point de vue d’une femme appartenant à la classe moyenne supérieure plutôt conservatrice ? 

En m’interrogeant sur ma grand-mère et le silence autour de sa mort, je me suis intéressée à la période de cet événement : 1976. C’est l’une des années les plus sombres et cruelles de la dictature. Comment imaginer que ce qui se passait dans la rue n’affecterait pas l’espace domestique ? Comment pouvions- nous faire comme si de rien n’était et vivre notre quotidien, tandis qu’à l’extérieur les dissidents étaient jetés dans l’océan ? 

Comment avez-vous travaillé avec Aline Küppenheim pour faire de Carmen un personnage si fort ? 

Cette force émane naturellement d’Aline, de même que la générosité avec laquelle elle incarne ses personnages. Elle s’est entièrement donnée pour Carmen. Je le savais dès le début, le rôle était écrit pour elle. Puis je l’ai laissée jouer. Parfois nous discutions de points spécifiques, mais il y a énormément de choses que nous n’avions pas besoin de rendre explicites. Cette part de mystère rend l’ensemble plus profond. C’est quelque chose que j’ai appris d’Aline et que j’ai intégré au récit. 

Les chaussures ont une symbolique particulière dans votre film. 

Ma mère m’a raconté un jour qu’en allant voir un proche dans une chambre mortuaire, elle a été décontenancée à la vue des chaussures vernies et prêtes à être chaussées. Cette image m’a beaucoup émue. Pour moi, les chaussures vides incarnaient parfaitement l’absence. Quand j’écrivais le scénario, ma sœur a eu l’idée d’intégrer la séquence des chaussures au début du film. Comme un élément perturbateur qui venait rompre le quotidien de Carmen, comme si son monde était en train de s’effondrer. 

Votre représentation des années 1970 est très précise et détaillée. Comment avez-vous reconstitué l’époque ? 

Les villes de bord de mer où nous avons tourné sont un peu hors du temps, elles portent les traces de la modernité mais elles réussissent à rester authentiques. Un autre élément fondamental était la maison de Carmen. La cheffe décoratrice Francisca Correa a su créer une palette de couleurs et de textures qui étaient une histoire en soi à l’intérieur du film. 

La bande-son ajoute énormément de tension dramatique.

Le son est très important, il incarne l’état d’esprit de Carmen et devient de plus en plus subjectif. Le film joue beaucoup avec le hors-champ et les sous-entendus, que l’ambiance sonore transmet parfaitement. Quant à la bande originale, j’ai trouvé intéressant l’idée d’aller à l’encontre du cliché de la musique orchestrale pour un film d’époque. Avec Mariá Portugal, la compositrice, nous avons ainsi pensé à utiliser un synthétiseur. 

Carmen regarde beaucoup de films considérés aujourd’hui comme des classiques. Pouvez-vous nous en dire plus sur leur signification, et sur la manière dont ils affectent l’héroïne et son imaginaire ? 

Carmen a une existence bourgeoise et monotone. À travers les films qu’elle regarde, c’est une vie par procuration qu’elle mène. Ils l’aident à affronter son quotidien. J’aime comment son monde imaginaire influence ses actions, et à terme, vole en éclats. Je voulais créer un contraste entre ce qu’elle voit à la télévision, et ce qu’elle voit dans la rue.

(Dossier de presse) 

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