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Les Cyclades

Entretien avec Marc Fitoussi, réalisateur

Racontez-nous la genèse du film.

Après Maman a tort, film hivernal et plutôt désenchanté, j’ai eu envie d’écrire une comédie optimiste et ensoleillée. Assez naturellement, le souvenir d’amitiés nouées lorsque j’étais plus jeune, s’est imposé. On est tous tenté de retrouver ses copains de jeunesse. On pense qu’on va rire comme on le faisait quand on avait quinze ans, que l’on va rompre la monotonie de nos vies d’adulte. Personnellement, j’ai toujours trouvé que la mode qui consiste à forcer ces retrouvailles via des sites dédiés était un leurre. Comme je suis un tout petit peu cruel dans ce que j’aime raconter, ma première idée a donc été de faire se revoir deux femmes, ex-meilleures amies trente ans auparavant, et dont les retrouvailles virent au naufrage. Évidemment, l’histoire s’est un peu complexifiée… Je pars toujours d’événements très simples, presque anodins mais, même en me lançant dans un projet de pure comédie, je ne peux pas m’empêcher d’être un peu grave et un peu sérieux par endroits… Je fais cela l’air de rien ; jamais frontalement. 

Une intermittente du journalisme musical extravertie (Laure Calamy), une banlieusarde introvertie coincée dans la douleur de son divorce (Olivia Côte)… Tout le film est construit sur la différence et les non-dits. La première, Magalie, est moins insouciante qu’il n’y paraît, la seconde, Blandine, plus ouverte. 

Je ne peux pas envisager une comédie avec des personnages qui iraient bien, je ne saurais pas l’écrire. Je tenais à ce que celui de Magalie soit faussement joyeux, qu’il ait une part d’ombre. Connaît-on vraiment les gens avec lesquels on est amis ? Très jeune, j’en ai moi- même fait l’expérience en perdant une bonne amie dont je pensais être proche. Cette jeune fille s’est suicidée sans que j’ai pu déceler chez elle le moindre signe annonciateur de ce qui allait se produire. J’en suis resté marqué.

Il y a de cette jeune fille en Magalie et aussi de certaines des amies dont j’aime à m’entourer, un peu bordéliques, étourdies, très drôles. Je les aime d’ailleurs plus pour ce qu’elles cachent que pour ce qu’elles donnent désespérément à montrer. Pour moi, la fantaisie est toujours teintée de drames. 

J’ai besoin de retrouver cette fantaisie dans les personnages de mes films. Des gens qui fonctionnent un peu comme de grands enfants, avec une sorte d’immaturité. Babou, l’héroïne de Copacabana, qu’interprète Isabelle Huppert, est probablement une copine de Magalie, et aussi de Bijou (Kristin Scott Thomas), qu’elle et Blandine croisent à Mykonos. 

Le duo qu’elles forment évoque irrésistiblement un buddy movie au féminin… 

Dès les prémisses du projet, j’ai eu envie de m’attaquer à ce genre. Il en existe peu avec des femmes, et encore moins dans le registre de la comédie… Le choix des comédiennes m’a encouragé dans cette voie. 

Les héroïnes femmes, c’est votre marque de fabrique… 

C’est vrai. Toute ma cinéphilie s’est construite autour d’elles et, plutôt que de citer des noms de réalisateurs qui m’auraient marqué, j’ai toujours préféré parler des actrices qui m’avaient touché dans leurs films – Catherine Deneuve dans Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau, Annie Girardot dans Cause toujours, tu m’intéresses d’Edouard Molinaro, Stéphane Audran et Isabelle Huppert dans Coup de torchon, de Bertrand Tavernier… Les comédies me semblent plus drôles avec des personnages féminins – est-ce parce que les femmes ont plus de fantaisie, plus d’autodérision ? On peut se permettre d’aller loin avec elles. Un personnage d’emmerdeur me semblera toujours plus irrésistible s’il est joué par une femme. 

Sans être à proprement dit une emmerdeuse, Blandine (Olivia Côte), n’en est pas loin : au- delà de la douleur causée par sa rupture, elle possède une vision assez étriquée de l’existence, s’autorise peu d’écarts… 

Blandine est manipulatrice en radiologie, un métier précis aux horaires fixes qui peut être un brin ennuyeux à la longue ; elle vit isolée en banlieue ; ne se sent jamais à sa place : elle est larguée. Et, pour autant, elle n’est pas juste éteinte et barbante. Je la vois comme un personnage à la Bacri : drôle parce que ronchon, maniaque aussi. Il y a une corde comique chez elle, du piquant, parfois même de l’espièglerie. J’y crois à ce personnage, à cette doudoune sans manches qu’elle porte au moment de s’embarquer pour la Grèce, à ce carnet de voyage où même un sac à vomi peut faire partie des souvenirs. Comme je crois à la fantaisie un peu suffocante de Magalie, qu’une de ses copines a baptisé acouphène tellement elle est soûlante, et comme je crois à cette association assez dissonante qu’elles forment toutes les deux. Au fond, Blandine m’évoque un peu, en plus rigolote, la Elisabeth des Passagers de la nuit, le très beau film de Mikhaël Hers : une femme qui renaît peu à peu et finit par rayonner. 

L’une est grande et maigre, l’autre, petite et pulpeuse. Graphiquement, c’est très drôle. 

Oui, le duo en devient presque burlesque ; ça me plaisait beaucoup. Avec Marité Coutard, la chef costumière, nous avons aussi opté pour deux styles vestimentaires aux couleurs très distinctes - pastel pour Blandine, primaires et pétantes pour Magalie. 

D’où est née cette envie de leur faire revivre leur passion de jeunesse pour Le Grand Bleu en allant visiter Amorgos, là où Luc Besson a tourné une partie de son film ? Était-ce une madeleine pour vous aussi ? 

Pas du tout ! J’avais quatorze ans à la sortie du Grand bleu - l’âge de mes personnages - et j’avais trouvé le film plutôt long et ennuyeux. Mais, quelque temps avant de me lancer dans l’écriture, il se trouve que j’ai fait un séjour dans les Cyclades. Je fais escale à Amorgos et là, je découvre que cette île est entièrement dédiée au film de Luc Besson. Super dépaysement ! Les tavernes en diffusent des images sur grand écran, la musique d’Eric Serra est dans tous les hôtels, jusqu’au café du port rebaptisé du nom du film. Que le phénomène perdure ainsi au-delà de ma génération m’a stupéfié. Il fallait en faire quelque chose. 

Sauf qu’Amorgos devient, grâce aux facéties de Magalie, une sorte de graal inaccessible, obligeant les deux femmes à faire le tour des Cyclades… et de ces retrouvailles compliquées. 

Il y a un côté road movie dans le film. Chaque île représente une nouvelle étape dans leurs relations. Santorin, sorte de passage obligé, puis Kerinos - une île déserte, sauvage, où il n’y a que des surfeurs et des archéologues et qui, en réalité, n’existe pas (je l’ai inventée parce qu’aucun ferry n’accosterait deux fois par semaine à Kéros dont je me suis inspiré), Mykonos, avec ses fêtes et cette villa impressionnante où vivent Bijou et Dimitris, et enfin Amorgos. À chaque escale, on mesure l’évolution de Blandine. Lorsqu’on s’approche d’Amorgos, on sent que son mari est loin. Elle est plus sereine, plus détendue, elle s’est émancipée. 

Le temps et les lieux jouent effectivement un rôle important dans cette transformation… 

D’un strict point de vue financier - et même d’organisation - il aurait été plus simple de trouver un lieu qui permette de faire croire à plusieurs îles différentes. Cela n’a pas été possible mais cela m’a permis de donner un éventail de ce que sont les Cyclades, mes Cyclades… L’aridité, la luxuriance, le calme, l’exubérance, mais aussi l’aspect attrape- touristes… J’ai voulu montrer la Grèce telle qu’elle est, sans tomber dans le pittoresque. Par contre, je tenais beaucoup à ce que Blandine visite le monastère de Panayia Hozoviotissa, ce sublime monastère du Xème siècle ; un lieu magique. 

Tourner à l’étranger, c’est une autre de vos marques de fabrique… 

J’aime explorer de nouveaux territoires et, en dehors de La Vie d’artiste, mon premier long métrage, et de Maman a tort, tourné à Créteil, j’ai toujours aimé choisir des lieux qui m’étaient inconnus. La Ritournelle, qui se déroule dans le monde rural, un milieu totalement vierge pour moi et qui se termine quand même en Israël à la Mer Morte n’y fait pas exception. C’est excitant de tourner à l’étranger. Cela crée du défi pour le réalisateur mais c'est aussi une source d’inspiration pour les acteurs. On les déplace, on les met un peu en danger, ils sont un peu obligés de se réinventer.

Vous écrivez vos scénarios seul. 

Et c’est une étape éprouvante. Que révèle-t-on ? Que cache-t-on ? Comment amener un rebondissement, doser les émotions ? Comment conserver leur pudeur aux personnages ? … Cela a été un moment d’autant plus difficile sur ce film que j’ai dû le mettre de côté pour réaliser un autre projet, Les Apparences. Quand je l’ai repris après un laps de temps assez long, les disponibilités des acteurs avaient changé. J’ai dû entièrement rebâtir mon scénario en fonction du nouveau casting. Laure Calamy, avec qui j’ai tourné six épisodes de Dix pour cent et qui m’avait littéralement épatée par son jeu, s’est tout de suite imposée pour cette nouvelle mouture. J’ai pu réécrire le personnage de Magalie en pensant à elle. 

Le choix de Blandine a été plus compliqué : les comédiennes que je contactais voulaient toutes jouer Magalie, plus joyeuse, plus hédoniste, et tout simplement plus sexy. Aucune ne voyait le potentiel comique du personnage de Blandine. 

Heureusement, Laure, qui est très amie avec Olivia Côte, insistait beaucoup pour qu’elle joue Blandine. Les dates du tournage étaient fixées, le financement du film était là, on a réussi à l’imposer. Jusqu’alors, Olivia était plutôt cantonnée dans des seconds rôles. 

Je suis heureux d’être celui qui lui a offert ce vrai coup de projecteur : Olivia sait être drôle et tenir tête à la tornade Magalie. Elle est aussi formidable dans tous les plans d’écoute. Olivia est très expressive et sait faire passer beaucoup de choses dans les silences. C’est une comédienne qui a un registre très large : gravité, drôlerie, bizarrerie parfois. 

Vous évoquiez la nécessité de réécrire les personnages. Laure Calamy a-t-elle participé à cette réécriture ? 

J’ai affiné Magalie avec elle. Laure m’a suggéré des choses, ce dont je lui suis très reconnaissant. Elle se connaît parfaitement, elle sait ce qu’elle a déjà fait, ce qu’elle n’a pas fait, ce qu’elle a envie de tenter. C’est elle, par exemple, qui m’a soufflé le sobriquet d’acouphène pour son personnage après m’avoir raconté qu’une de ses copines l’affublait de ce surnom. Et c’est encore elle qui a eu l’idée de rejoindre Blandine à la toute fin. Plutôt que de lui faire aussi enfiler une paire de roller, je me suis dit que la voir débouler en trottinette serait plus incongru et rocambolesque. Grâce à sa présence dans ces derniers plans, on comprend que Magalie et elle sont devenues inséparables. Laure a beaucoup mis d’elle- même dans Magalie tout en cherchant à s’en différencier. 

C’est la première fois qu’elle apparaît en blonde à l’écran… 

J’aime amener mes actrices à un endroit où on ne les a pas encore vues. On ne va pas se mentir : on a déjà vu Laure en grande gueule dans une comédie. La réinventer en blonde, créer un personnage et un profil qu’on n’avait pas encore croisés au cinéma m’excitait. De la même façon, j’ai aimé rendre Olivia, qu’on connaît plutôt clownesque, plus assagie, plus stricte, plus émouvante aussi. C’était une composition difficile pour elle, un complet contre- emploi qui lui faisait peur. Elle est allée fouiller du côté de sa maman qui a été la femme d’un seul homme et qui est, je crois, assez traditionnelle. L’avantage pour elles deux, était qu’elles sont deux vraies amies dans la vie - elles se comprennent, elles s’entraident, elles se respectent.

Parlez-nous du choix de Kristin Scott Thomas.

Je l’avais vue et adorée dans Only God Forgives de Nicolas Winding Refn, et je savais qu’elle était capable de se métamorphoser pour jouer Bijou ; que cela l’amuserait même. Bijou est un personnage important : à la fois horripilant au premier abord, cassant, et même assez infect avec son compagnon. Mais c’est aussi un trait d’union entre Blandine et Magalie. C’est grâce à Bijou, qui craint d’être atteinte d’une récidive de son cancer du sein que Blandine peut commencer à relativiser ses propres souffrances. Et c’est encore Bijou qui la renseigne sur le passé de Magalie. J’aurais détesté que ce soit Laure qui le dévoile. On serait tombé dans le pathos, or la pudeur tient une grande place dans leur histoire. Leur réconciliation ne pouvait pas passer par cette confession ; par une relecture des événements, oui. Dire les choses, c’est toujours ma crainte quand j’écris. Dissimuler, amorcer des pistes, j’adore… La clé est toujours dans ce qu’on ne sait pas. 

Bijou est aussi fofolle et exubérante que Magalie, et presque encore plus rentre-dedans : cette scène, notamment, où elle agresse Blandine parce qu’elle n’a pas fait l’amour depuis sa séparation…

C’est très limite. Comme lorsqu’elle dit à Blandine : « Ton prénom, c’est cafard, je vais te le changer » ; elle impose ses choix. Dans ces moments-là, clairement, on se range du côté de Blandine. Mais peu à peu, le masque tombe et le personnage de Bijou se radoucit : il force même le respect lorsqu’elle fait le choix de se relever et d’affronter encore la maladie. 

Plus globalement, je trouvais bien que, dans une comédie que j’ai espéré populaire, une femme de la génération de Kristin puisse s’exprimer et agir comme elle le fait. Qu’elle parle ouvertement de sa sexualité ou de sa mastectomie. Qu’elle assume aussi ces long cheveux gris…

Ce qui m’intéresse aussi chez ces trois femmes, c’est qu’elles ne s’arrêtent pas à leurs choix de vie. J’aime par exemple que, malgré tous ses défauts, Blandine ne se bloque pas sur le fait que Magalie n’ait pas d’enfant. Elle peut être agacée par son envie de sympathiser avec tout le monde, par sa manie de tutoyer les serveurs, mais elle respecte ses choix. De même, une simple phrase de Bijou qui explique à Blandine comment elle s’est réconciliée avec Dimitris suffit à lancer un pont entre elles deux : « C’est bien parfois d’être conventionnelle », lui dit Bijou. Soudain elles se comprennent, il y a, je trouve, quelque chose de très doux dans ce rapprochement. J’aime beaucoup l’idée de la sororité, surtout lorsqu’elle s’applique à des  personnes qui ne se ressemblent pas et qui ont pris des chemins différents. Ces femmes s’entraident, on ne sait pas bien comment et c’est justement parce qu’on ne le sait pas, parce qu’il y a quelque chose de presque organique, qu’elles finissent par se trouver.

On sent beaucoup d’amour et de bienveillance dans ce film.

La générosité de Laure, dont le personnage donne l’impression d’être gratuitement fantaisiste alors qu’elle ne cherche qu’à apaiser son amie ; la chaleur de Bijou, mais aussi la tendresse de Benjamin, le fils de Blandine (Alexandre Desrousseaux, formidable)… Je trouve beau qu’il ne se résolve pas à laisser sa mère seule dans cette maison de Meudon et qu’il déploie tous ces stratagèmes pour lui faire retrouver son amie. Il est la preuve que Blandine n’a pas toujours été cette femme dépressive. Elle n'aurait pas pu avoir un fils aussi intelligent et si bien dans sa peau si c’était le cas. 

Ce n’est la première fois que vous travaillez avec Antoine Roch à la photo

Pendant longtemps, j’ai travaillé avec des chef opérateurs femmes – Agnès Godard, Hélène Louvart, Céline Bozon… J’aimais leurs regards féminins sur mes personnages. Puis j’ai rencontré Antoine sur le tournage de Dix pour cent avec qui je me suis particulièrement bien entendu. Antoine connaît tous mes travers et, contrairement à ce que je pensais, je me suis rendu compte que les actrices appréciaient le fait que le chef op soit un homme. Elles se sentent embellies, surtout avec Antoine qui les adore tout autant que moi. Laure, qui le connaissait, se sentait en confiance. Kristin qui savait qu’il avait éclairé Isabelle Huppert, l’était aussi… 

Même s’il m’est impensable de faire des séquences trop statiques, j’ai le défaut d’être très bavard - j’écris énormément de dialogues ! Antoine, lui, est plus dans le rythme. La première chose qu’il m’ait dite en lisant le scénario a été : « Comment va-t-on réussir à rythmer ces scènes où ces trois filles ne font que parler ? ». Ça a été là le défi du film. 

Avec Antoine, on se comprend. On ne découpe pas tant que ça ; en même temps, on est très précis sur la façon dont on va mener une séquence en fonction de ma mise en scène. C’est quelqu’un d’extrêmement doué pour placer sa caméra et faire qu’on ne manque de rien tout en étant très économe. Avec lui, on ne fait pas la course au plan comme dans certaines comédies où l’on tourne bêtement sous tous les axes. 

Bonus d’entre les bonus, Antoine est aussi efficace qu’il est doux. La douceur est une qualité qui compte beaucoup pour moi. 

Sur le plateau, j’ai un autre allié, Olivier Le Vacon, mon ingénieur du son depuis toujours. Il est ma deuxième oreille. Comme je travaille beaucoup sur le dialogue et sur le jeu, je sais qu’il n’hésitera pas à m’appeler discrètement s’il y a une réplique à laquelle il ne croit pas. Parfois, il s’agit juste d’un mot qu’il faut placer avant, d’une liaison qu’il vaut mieux ne pas faire. Il fait partie des gens, comme la scripte, dont j’adore recueillir les avis.

Aviez-vous des références en tête pour ce film ?

J’ai évidemment voulu revoir des films de duo, si possibles féminins, que j’avais aimés : Thelma et Louise de Ridley Scott, que j’adore, mais c’est un tel drame que cela n’allait pas beaucoup m’aider à raconter par exemple l’arrivée de Bijou en quad. J’ai voulu revisionner Dangereuse sous tous rapports de Jonathan Demme, avec Melanie Griffith et Jeff Daniels, à cause de leur duo mal assorti. Au final, je lui fais un hommage discret en faisant porter à Laure le genre de bracelets africains que porte Melanie Griffith dans le film. J’ai aussi revu Sideways d’Alexander Payne, à cause du duo dissonant formé par Paul Giamatti et Thomas Haden Church et On a volé la cuisse de Jupiter de Philippe de Broca parce que je n’aurais peut-être pas tourné ce film en Grèce sans ce film que j’adorais voir et revoir quand j’étais enfant. Enfin, j’ai revu des films sur la sororité, dont Tout ce qui brille de Géraldine Nakache et Hervé Mimram, et, dans un registre plus grave, le génial Quatre mois, trois semaines, deux jours de Cristian Mungiu. 

Mais, au fond, je me rends compte, que comme à chaque fois, je ne tire pas grand-chose de ces recherches. On se retrouve avec son film et on le réalise. 

Comment s’est passé le tournage

Ça a été un tournage compliqué, à cause de la logistique qui voulait qu’on passe régulièrement d’une île à l’autre, et du climat : on a eu des vents terribles, notamment dans la partie Kerinos, lorsque Blandine et Magalie se retrouvent à traîner leurs valises sur la route avant d’être prises en stop. On voit leurs cheveux partir dans tous les sens. Mon ingénieur du son et son indispensable perchman, Thomas Berliner, ont dû se battre comme des lions pour obtenir un son direct convenable. La perche se baladait, les micros se décollaient, c’était un enfer. 

Parfois, il fallait aussi tourner vite. Comme cette séquence de dispute où elles vont rejoindre les surfeurs avant que Laure ne chante Words de F-R David au ukulélé : on devait ensuite changer d’île et tout le matériel devait partir par ferry à vingt-trois heures pétantes. Cette course contre la montre créait forcément du stress. Mais je ne lâchais rien, et je voyais mes actrices tout aussi impliquées. C’est rare de voir des comédiens aussi engagés. 

Cette scène au ukulélé est magique. 

Laure voulait savoir jouer parfaitement de cet instrument. Elle veut être à l’aise partout, dans le chant, en conduisant un quad… Elle a cette volonté de contrôle que peut avoir Isabelle Huppert. Une exigence de précision folle. Juste en permanence, elle rebondit sur tout et entraîne les autres. 

La séquence des retrouvailles dans le studio télé est également bouleversante. 

Je ne l’ai écrite qu’après avoir tourné la rupture entre Blandine et Magalie à Amorgos. J’ai attendu la fin du tournage en Grèce. J’avais besoin de réfléchir au contexte dans lequel les deux amies pourraient se retrouver. Cette fois, c’est Blandine qui part à la recherche de Magalie. Allait-elle frapper à la porte de son studio aux Abbesses ? La personnalité de Laure m’a conduit à envisager une scène plus périlleuse : la déguiser en pigeon dans une émission télé pour enfants et la conduire à pleurer dans les bras de Blandine. Avec Laure dans la manche, j’étais sûr de mon coup. 

C’est l’occasion d’expliquer son amour du Disco qu’elle clame au début du film. Le partagez-vous

« Danser, dit Magalie, c’est le choix de l’insouciance ; on danse pour oublier. ». Au fond, elle livre à Blandine la leçon de leur voyage. Est-ce que j’aime le Disco ? Pour moi, c’est une musique faussement festive. Elle est née alors que le sida commençait à exploser à New York, les gens dansaient pour oublier les morts autour d’eux. Ils célébraient l’optimisme. Il y a quelque chose de politique à faire ce choix-là. 

Un optimisme que célèbrent à leur tour les deux amies dans la séquence de fin… 

Faire remonter Blandine sur des rollers est une pirouette que j’aime bien. Je voulais une fin joyeuse, visuellement enjouée, fédératrice. Un retour à l’enfance, et un happy-end totalement assumé. 

Parlez-nous du montage. 

Comme Antoine Roch, j’ai rencontré Catherine Schwartz grâce à Dix pour cent. Avec Antoine, Olivier et Caroline Bonmarchand, ma productrice adorée, Catherine fait désormais partie de mes précieux alliés. On a commencé le montage avec Catherine, dès le tournage en Grèce terminé et avant d’entamer celui en France. Il fallait trois semaines pour que les camions reviennent à Paris, cela nous a laissé le temps de travailler. J’avais beaucoup tourné

- sans doute trop. On s’est très vite rendus compte qu’il fallait rentrer au milieu des scènes et surtout s’épargner les conclusions : il fallait créer un nouveau rythme. C’est souvent le cas sur mes films mais c’était particulièrement flagrant sur celui-là dont la première version faisait 2h25. Le montage est l’endroit où l’on peut tout se permettre, tout remettre en question et tout réinventer. C’est toujours dur de renoncer à certaines séquences objectivement réussies mais je ne suis pas du genre à me braquer. Enfin, disons que ça prend du temps, mais je finis toujours par être lucide. Catherine a compris qu’il ne fallait pas me brusquer et que ce grand chambardement qu’est le montage doit se faire dans la joie et la douceur. 

Un mot sur la musique originale, signée Mocky

Mocky est un musicien canadien dont j’écoute beaucoup la musique. Au moment du montage, outre les tubes qui ponctuent le récit (comme ce morceau d’Eric Serra), nous avons placé beaucoup de morceaux témoins et je me suis rendu compte que trois d’entre eux étaient signés Mocky. J’ai pensé que cela valait le coup de lui envoyer le film et de lui proposer d’écrire la musique. Il ne parle pas français, a vu le film sans sous-titres mais il a senti les choses et nous a proposé immédiatement une BO originale. Il y a forcément beaucoup de Disco dans Les Cyclades et j’avais envie parfois d’une note plus mélancolique. Mocky me l’a apportée. Je retrouve ma mélancolie dans la sienne. 

Il y a un aspect doux-amer dans le film… 

Certains y verront une franche comédie, d’autres un film plus grave teinté de nostalgie. 

Propos recueillis par Marie-Elisabeth Rouchy

(Dossier de presse) 

Les Cyclades

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