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La syndicaliste

Propos d'Isabelle Huppert

Jouer une personne réelle, vivante, cela offre des pistes pour l’allure du personnage, a fortiori dans le cas de Maureen Kearney, qui ne correspond pas tout à fait à l’idée qu’on peut se faire d’une syndicaliste - bien que les gens soient toujours surprenants et différents de l’image qu’on se fait d’eux à travers leur fonction. On a pu s’inspirer de la manière dont elle s’habille, se maquille, se coiffe, de sa blondeur, de son chignon, et aussi des bijoux qu’elle porte. Cela m’intéressait de la rencontrer, mais le jeu reste toujours un travail d’imaginaire, et on peut se détacher de la réalité autant qu’on le veut. Je ne suis pas sûre qu’avoir un « vrai » modèle accroisse la responsabilité vis-à-vis de la personne que l’on joue. D’abord la responsabilité est beaucoup sur les épaules du metteur en scène ; ensuite, l’intérêt de ce sujet, parmi d’autres, c’est le scepticisme : laisser l’ambiguïté fabriquée par le regard des autres sur le personnage. 

Quand on a trouvé l’aspect physique du personnage, le reste coule de source. D’autant que, grâce aux talents du coiffeur, de la costumière, de tous ceux qui ont travaillé sur l’apparence de Maureen, ce n’était pas un déguisement, un artifice qui aurait pu me gêner, cela faisait vraiment partie de moi. Cela aurait été plus difficile et moins amusant si j’étais restée moi-même, sans ses choix qui relèvent aussi du jeu de masque au théâtre. Par exemple, les lunettes étaient très importantes : elles modifient l’aspect de la personne qui les porte, et le regard que l’on porte sur elle. Elles empêchent l’accès direct au regard et changent la vue, provoquant une légère transformation de la réalité. C’est intéressant, les lunettes au cinéma  : je me souviens que j’en portais dans L’Ivresse du pouvoir, de Claude Chabrol.

Je ne me suis pas posé la question de la culpabilité ou de l’innocence de Maureen. Ce qui m’intéressait, c’est le trouble qu’elle a suscité et que curieusement elle suscite encore, à en croire les documentaires récents consacrés à l’affaire. Tout au long du film, le parcours du personnage est singulier, depuis le début de son combat jusqu’à la dernière scène, sa déposition magnifique devant la commission de l’Assemblée Nationale. Maureen se bat contre une sorte d’hydre tentaculaire qui la dépasse complètement. Et en même temps, elle se bat aussi pour une chose très simple : sauver des emplois. Elle pourrait lâcher, mais il y a chez elle la volonté farouche de livrer bataille et au fond d’être un personnage plus grand que ce à quoi elle était vouée. C’était une syndicaliste, on ne lui demandait pas de conduire une armée mais elle s’est bâti un petit royaume à la tête duquel elle a décidé de régner et de résister. Elle veut aussi s’inventer une vie assez différente de celle qu’elle a. À l’arrivée, elle est seule contre tous, c’est son côté Erin Brockovich ! Mais ses choix vont la broyer. 

La violence de ce que vit Maureen met en danger sa vie privée. Elle fissure son cadre familial, même si, au-delà des silences, il reste un peu d’humour entre elle et son mari, joué par Grégory Gadebois. C’est un peu comme si, habituée à prendre la parole dans certaines circonstances qu’elle maîtrise bien, les mots lui manquaient : je pense à la scène du premier procès, où, dans un contexte imposant, Maureen se trouve fragilisée comme jamais. J’ai imaginé beaucoup de choses pour ce moment-là, on peut tout imaginer ! Par exemple, au cas où elle elle aurait tout inventé, elle perdrait alors ses moyens devant l’énormité de son mensonge. C’est en tout cas ce que peuvent penser ceux qui ne la croient pas et la voient s’effondrer, avec, selon eux, tout l’échafaudage qu’elle a construit... Quand tout le monde vous accuse, peut- être finit-on par douter de sa propre innocence. Maureen revient de très loin quand elle décide de faire appel de sa condamnation. C’est vraiment une décision personnelle qui témoigne d’une ténacité, d’un courage, d’une volonté de se faire justice assez impressionnante. Ainsi, la scène où elle essaie de reconstituer elle-même les circonstances du viol. Elle est seule à pouvoir le faire, tellement elle a été lâchée de toute part, tellement est grande sa solitude. Elle n’a pas d’autre choix que le pragmatisme, voir si ce dont on l’accuse est possible.

J’ai cité le nom de Claude Chabrol et je crois qu’il y a dans le film quelque chose de chabrolien, une certaine sécheresse mais dans le bon sens, rien de sentimental, peut-être une espèce d’ironie empreinte de morale. J’adore travailler avec Jean-Paul Salomé, on s’entend vraiment très bien, comme cela avait été le cas sur La Daronne. Il n’y a aucune hésitation dans sa mise en scène, ce qui est toujours confortant pour un acteur. Et il y a entre nous une grande confiance réciproque. Les bons cinéastes ne sont jamais interventionnistes vis-àvis de leurs acteurs ou ils le sont d’une manière invisible qui donne de l’énergie de l’assurance, jamais d’une manière qui entrave.

(Dossier de presse) 

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