Skip to main content

Trois questions à Olivier Demangel, scénariste

COMMENT AVEZ-VOUS TRAVAILLÉ AVEC MATHIEU VADEPIED, LE RÉALISATEUR ?

J’ai rencontré Mathieu Vadepied lorsque j’étais coscénariste de son premier film LA VIE EN GRAND (sorti en 2015). Assez naturellement, il m’a parlé de TIRAILLEURS, le projet le tenant à cœur depuis de longues années, il m’a proposé de travailler avec lui. On s’est lancés dans cette grande aventure, mais ça n’a pas été sans mal, pour des tas de raisons. L’écriture d’un film ressemble toujours un peu à son sujet. Notre travail s’est parfois apparenté à une guerre de tranchées. Et de fait, écrire sur la Grande Guerre est très complexe, avant tout parce que c’est une guerre immobile, une guerre statique, avec ces tranchées qui s’affrontent et ces soldats bloqués entre deux mondes. L’autre difficulté que nous avons rencontrée est que l’on s’est rendu compte très vite du peu de sources sur les tirailleurs sénégalais. Il n’existe aucun récit écrit par eux-mêmes, aucune transmission même orale, aucun témoignage. Il y a quelques romans coloniaux avec des images stéréotypées, quelques essais historiques. Nous avions donc un double défi qui n’était pas mince : construire un drame dans une guerre immobile et reconstituer une histoire africaine si peu transmise. Enfin, il nous a fallu trouver le bon angle, la bonne distance, afin d’embrasser toute la complexité de cette relation entre un père et son fils. Une relation universelle qui existe dans toutes les cultures, mais projetée dans un contexte de guerre. C’était un pari original car à ma connaissance il n’y a pas de récit de guerre qui mêle père et fils, pour la raison simple qu’aucune armée n’enrôlerait jamais des membres de la même famille dans le même régiment. Mais pour les tirailleurs, il nous a semblé que c’était possible étant donné la manière dont ils étaient « recrutés », dans certains cas comme au temps de l’esclavage. On a trouvé ce faisant une manière je crois moderne d’aborder le récit de guerre qui est un genre à part entière.

LA DRAMATURGIE TOURNE AUTOUR DE CETTE RELATION ENTRE UN PÈRE BAKARY DIALLO (JOUÉ PAR OMAR SY) ET SON FILS THIERNO (ALASSANE DIONG), POURQUOI ? 

Cette relation est l’angle principal. L’idée générale – universelle – est que cette guerre-là a plongé tous les êtres dans une réalité tellement atroce qu’elle a tout redéfini. Y compris d’ailleurs le rapport entre Noirs et Blancs puisque certains historiens datent de la Première guerre la naissance des mouvements de décolonisation, notamment avec la création du premier mouvement panafricain. Dans TIRAILLEURS, c’est le rapport père fils qui est bouleversé par le conflit parce que la guerre, par définition, invente un autre système d’autorité, et parce que la rivalité qui naît entre les deux personnages fait exploser leur relation, même s’ils finissent par se retrouver. 

Par ailleurs, le scénario tente de décrire deux no man’s land, celui des tranchées et celui du village où les soldats sont livrés à eux-mêmes, presque libres mais surveillés. Il y a notamment chez Louis Barthas des descriptions invraisemblables de l’arrière-front, une zone de non-droit, de semi-liberté. Ces deux espaces – la tranchée et le village – nous permettaient topographiquement d’opposer le père et le fils : le premier veut fuir la guerre à tout prix – il considère qu’elle n’est pas la sienne et qu’il faut retourner au Sénégal –, et le second rêve peu à peu d’héroïsme, se laisse convaincre du bien-fondé de la camaraderie de guerre et imagine d’autres horizons pour lui-même, notamment parce qu’il parle français. C’était pour nous une manière de créer la géographie de leurs rapports. 

L’ÉCRITURE D’UN TEL SCÉNARIO NÉCESSITE QU’ON NE S’ÉLOIGNE PAS DE LA VÉRITÉ. AUTREMENT DIT, COMMENT LE CINÉMA PEUT-IL S’EMPARER DU RÉEL SANS LE TRAVESTIR ? 

Je pense qu’un film qui a une portée historique nous astreint à une forme de vérité. On a fait très attention en travaillant avec des historiens et des consultants sur le tournage. Bien sûr, on a beaucoup lu et on s’est documenté pour l’écriture. Même si la fiction s’appuie sur des inventions, une imagination, une tension dramatique, il n’était pas question de sacrifier la véracité. C’est sans doute pour cela aussi que le développement du scénario a été long : il fallait être juste dans la représentation de la partie africaine, dans cette histoire de bergers peuls enrôlés en 1917, mais également dans la représentation de la guerre et de l’emploi des troupes coloniales. On voulait éviter toute caricature. Même si n’avons rien occulté – l’enrôlement de force, par exemple, au début du film – nous avons cherché à éviter tout manichéisme, qui aurait pu être le réflexe premier d’un tel récit. On a dû essayer aussi de pénétrer dans la psychologie des personnages pour trouver une dynamique de narration et raconter une histoire qui amène de l’émotion. Sans pour autant surdramatiser. Parce que tout est une question d’équilibre.  

Je voudrais ajouter que pendant des années, au gré des péripéties de l’écriture du scénario, on aurait pu abandonner trente fois. Pourquoi n’a-t-on jamais cédé, alors que ce film paraissait si difficile à inventer, à imaginer, à monter ? Parce que nous nous sommes retrouvés sur un point fondamental et magnifique : une envie profonde de raconter cette histoire pour des tas de raisons différentes et partagées par Mathieu et moi. Une sorte de fraternité d’armes. Parce que ces tirailleurs, d’une certaine façon, exigeaient de nous qu’on raconte leur histoire. On a beaucoup tâtonné, on a parfois navigué dans la nuit, mais on n’a jamais perdu de vue qu’on allait y parvenir. C’est peut-être grâce à cette fraternité que le film raconte quelque chose d’émouvant et d’universel.

(Dossier de presse) 

Tirailleurs

Bande annonce

Séances