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Entretien avec Omar Sy, acteur et co-producteur

NAISSANCE DU PROJET

« C’est un projet qui nous accompagne, Mathieu Vadepied et moi, depuis de longues années. C’est même le fil rouge de notre relation. Cela remonte au tournage d’INTOUCHABLES (le film réalisé par Olivier Nakache et Eric Toledano est sorti en 2011, Mathieu Vadepied en était le directeur de la photographie). Je me souviens précisément d’un moment à la cantine, on avait déjeuné ensemble, et Mathieu me parle de ce projet-là : et si le Soldat inconnu était un tirailleur sénégalais ? Il avait cette idée en tête. On a beaucoup échangé sur la question. Le tournage d’INTOUCHABLES s’est terminé, et on a continué à garder le lien, avec ce projet à l’esprit qui en était seulement à l’état d’idée. Puis cela a germé, on a avancé au fur et à mesure. L’idée est devenue un pitch, puis un traitement, puis un scénario, puis un autre scénario. Ça a duré dix ans ! À un moment, je devais jouer ce tirailleur, puis je suis devenu trop vieux pour le rôle – j’ai pensé qu’il valait mieux qu’il soit porté par un acteur plus jeune. J’ai alors commencé à me retirer du projet. Mais Mathieu et Bruno Nahon, le producteur, sont revenus vers moi en me disant que même si je ne jouais pas le rôle, je serais toujours associé à l’aventure ; l’idée de coproduire le film est venue à ce moment-là. Gaumont s’est dit prêt à défendre le long-métrage. J’ai vu toutes les versions du film et ses multiples scénarios. Je me suis posé la question : suis-je prêt à ne pas être acteur dans ce film ? Finalement, on en parlé, mais j’ai absolument souhaité jouer le rôle en langue peule, je n’avais pas envie de jouer un soldat avec un accent. » 

MON RÔLE DE COPRODUCTEUR 

« En coproduisant le film, je veux montrer que mon implication va au-delà d’être à l’affiche. C’est une implication qui dépasse celle de l’acteur. Je crois beaucoup en cette histoire, c’est important pour moi qu’elle existe, et j’ai envie d’aider à la faire connaître du mieux possible. J’ai pensé qu’en être seulement l’acteur n’était pas suffisant. Jouer et coproduire sont deux formes de soutiens. » 

UNE HISTOIRE MÉCONNUE 

« Je ne m’explique pas pourquoi cette histoire des tirailleurs sénégalais, et d’autres tirailleurs issus de pays différents, ait été si peu racontée. Je n’ai pas d’explications, je ne sais pas pourquoi ni pour quelles raisons on ignore encore cette partie de l’Histoire, je sais juste qu’on n’en entend pas souvent parler. Mais je me dis qu’on perd du temps à se demander pourquoi, et qu’il est primordial aujourd’hui de la raconter, c’est tout. On a fait ce film pour cela. » 

RACONTÉE PAR CEUX QUI L’ONT VÉCUE 

« TIRAILLEURS est l’histoire racontée par ceux qui l’ont vécue, ce qui est finalement trop peu souvent le cas. C’est le point de vue que nous avons adopté. Cela nous a semblé d’autant plus intéressant que le récit n’est pas très connu. C’est une bonne manière de faire connaissance avec ce sujet, et nous sommes partis du principe que beaucoup de gens l’ignorent. Le désir un peu secret était de créer une véritable rencontre avec ces tirailleurs. On a envie que les gens non seulement apprennent cette histoire, mais surtout qu’ils s’en souviennent. Il n’y a rien de mieux qu’une rencontre pour se souvenir. »

LA FICTION, UNE VALEUR PÉDAGOGIQUE

« Pour nous, l’enjeu important est que le plus grand nombre puisse entendre cette histoire et on espère que les gens seront touchés par cette « petite » histoire cachée dans la grande. Elle peut être un accès pour l’éducation. Il y a une démarche pédagogique qui est totalement assumée. » 

ENRÔLÉS DE FORCE 

« On a voulu raconter l’histoire telle qu’elle est, avec cette démarche pédagogique, et en étant le plus juste possible. C’est une manière aussi de rendre hommage et de respecter ces vies sacrifiées, comme ces jeunes enrôlés de force par l’armée et arrachés de leur village. C’est toujours cette part d’histoire qu’on ignore tout simplement parce qu’on n’en a pas parlé. Quand on évoque les tirailleurs, on pense à ces soldats qui étaient en France, qui ont combattu pour la France, cela n’a pas été caché, mais on oublie qu’avant ces hommes vivaient dans leur village ou leur ville. C’est comme si on nous parlait de l’Afrique postcoloniale et qu’il s’il n’y avait pas eu d’Afrique avant. C’est cet avant qui m’intéresse, aussi. » 

SE BATTRE POUR UN PAYS DONT ON NE CONNAÎT PAS LA LANGUE 

« Pour moi, il n’était pas question de jouer un Français avec un accent, je ne me voyais pas faire cela. Je pensais que c’était mauvais pour le film. Je trouve qu’avec ce que l’on raconte sur le plan historique, émotionnel, il faut être exigeant. Donc le choix de jouer en langue peule, langue que je parle, était déterminant. Je crois que cela apporte au long-métrage, donne un sentiment de déportation vécue par ces hommes forcés de quitter leur pays, ajoute à l’absurdité de se battre pour une nation dont on ne connaît pas la langue ! Tout cela est très significatif en termes de sacrifices. » 

UNE FORME D’ENGAGEMENT POLITIQUE ? 

« On me prête toujours des engagements politiques, je suis devenu très politique un peu malgré moi, de par ce que je suis, ce que je représente. En tout cas, ce qu’il y a de plus politique chez moi c’est mon travail ! Et évidemment que ce film est une manière pour moi de dire ce que je pense, où je me situe aussi par rapport à la France, ce que je lui dois et ce qu’elle me doit, aussi. » 

LA GUERRE VUE À HAUTEUR D’HOMME 

« TIRAILLEURS est un film de guerre intimiste ! Je veux dire que c’est un film intimiste en pleine guerre, c’est-à-dire que c’est l’intimité de ces hommes-là révélée dans un contexte de guerre. La guerre vue à hauteur d’homme. Pour moi, c’est pratiquement la seule manière de raconter, il n’y a pas d’autres façons de donner son vrai sens, de voir les conséquences terribles, d’entendre les souffrances qu’en racontant à hauteur d’homme, sinon ce sont des théories qui ne disent finalement pas grand-chose. Si on parle de l’Ukraine aujourd’hui, ce sont les images de ces êtres qui quittent leur pays avec un sac à dos qui sont les plus significatives, pas une carte avec des couleurs et des flèches. » 

UN JEU D’ACTEUR DIFFÉRENT ? 

« Bien sûr que ce que raconte le film m’oblige à un jeu différent, plus grave, plus sobre. La langue peule amène aussi le fait qu’on me voit un peu moins. Et il y a la mise en scène de Mathieu Vadepied qui est très près des visages. Oui, l’approche est différente. Pour ma part, il y a le sujet et la façon dont j’ai voulu jouer cette histoire, un peu plus dans la sobriété, un peu plus intérieurement, parce que le personnage se retrouve dans une situation de guerre dont il ne comprend ni la langue ni l’enjeu ni même son fils. »

UN MESSAGE À TRAVERS CE FILM

« J’espère qu’avec ce film on va ouvrir un nouveau chapitre de l’Histoire de France et on va un peu plus se plonger sur cette question-là, sur tous ces soldats qui ont combattu pour la France mais n’étaient pas considérés comme des Français, qu’on finisse par les reconnaître enfin, et que l’on raconte leur histoire. C’est tout ce qu’on espère. En tout cas, on a essayé de le faire, et il faudra raconter d’autres récits. Le film a pris le parti des tirailleurs sénégalais, mais il y en a d’autres issus d’autres pays. Il faut leur rendre hommage. » 

UN FILM POUR LES JEUNES 

« TIRAILLEURS peut donner de la fierté à des jeunes qui se sentent exclus de la grande Histoire. On parle d’intégration, d’assimilation, mais cela passe aussi par des récits où l’on peut raconter ce passé commun qui nous aide à écrire notre futur en commun, notre présent. Ce n’est pas un hasard s’il y a beaucoup d’indiens en Angleterre, ce n’est pas un hasard s’il y a beaucoup de Sénégalais, de Marocains, de Tunisiens, d’Algériens en France. Cette immigration à un moment donné se dirige vers un pays avec lequel elle entretient un lien fort, il y a donc cette histoire commune et il faut la raconter entièrement sinon quelque chose ne va pas. Cette histoire permet de se dire : en fait, cela fait un moment qu’on traîne ensemble les gars, et ça il ne faut pas l’oublier ! »

ALORS, LE SOLDAT INCONNU ÉTAIT-IL UN TIRAILLEUR SÉNÉGALAIS ? 

« Pour moi, oui, il l’était ! Pourquoi pas. »

(Dossier de presse) 

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