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Entretien avec Vicky Krieps, actrice 

 

corsage4Comment en êtes-vous venue à interpréter l’impératrice Élisabeth ? 

Eh bien, je connaissais Marie Kreutzer pour avoir joué le rôle principal dans son film We Used to Be Cool, celui d’une jeune mère aux prises avec la parentalité. Après le tournage, il était évident pour toutes les deux que nous voulions retravailler ensemble. Quelque temps après, j’ai donc demandé à Marie ce qu’elle pensait de l’impératrice Sissi. J’avais vu les films avec Romy Schneider chez notre voisine et j’avais lu en parallèle une biographie de l’impératrice Élisabeth. L’adolescente que j’étais s’était posé de nombreuses questions. Pourquoi l’impératrice Élisabeth s’était-elle fait installer des salles de sport ? Pourquoi a-t-elle refusé qu’on la peigne à partir de 40 ans ? J’ai parlé de ce qui me taraudait à Marie, qui n’a pas réagi dans un premier temps. Mais il s’est alors passé quelque chose d’étonnant, on voit bien là une grande force des femmes : nous parlons peu, nous passons à l’action. Et c’est ainsi qu’un an après notre conversation, j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres une enveloppe contenant le scénario. Marie s’était contentée d’y glisser un petit mot : « Je suis retournée aux archives. Tu avais raison. » C’était tellement classe. 

Qu’avez-vous fait alors ? 

J’ai foncé sans hésiter une seconde ! 

L’impératrice Élisabeth monte à cheval, pratique plusieurs sports, parle différentes langues mais surtout, elle est d’une minceur anorexique. Combien d’énergie et de temps vous a-t-il fallu pour devenir cette monarque ? 

Je crois bien que je n’ai jamais autant travaillé à la préparation d’un rôle. Et encore, j’ai de la chance, je suis bonne cavalière. Je n’ai donc pas eu à partir de zéro, il m’a suffi d’apprendre à monter en amazone. Sans cela, je n’aurais probablement pas pu y arriver en deux mois. J’ai appris à nager dans les eaux glaciales du Danube, ce qui est une gageure. Quand on entre dans l’eau froide, l’instinct de survie se réveille par réflexe : on veut prendre la fuite, s’échapper. C’est alors que l’esprit doit prendre le relais et signaler au corps que tout va bien. À cela s’est ajouté l’apprentissage de l’escrime et du hongrois. Le hongrois m’a paru très difficile, c’est une langue pour laquelle je n’avais pas de repères phonétiques. Marie n’a pas désiré que je maigrisse pour interpréter le rôle, mais tous ces entraînements m’ont fait perdre quelques kilos. 

Avec le recul, cela a été utile pour porter le corset. Et d’ailleurs, le port du corset a été une expérience singulière. Je ne pouvais consommer que des aliments liquides comme des soupes ou des smoothies, mais cette étroitesse a aussi beaucoup joué sur mes émotions. Quand je le mettais, immédiatement pendant qu’on me laçait, je devenais triste. Quand je l’enlevais, la joie et le rire revenaient. Cela s’explique peut-être par le fait que le corset comprime le diaphragme. J’ai lu quelque part que c’est là que se logent nos émotions. C’était une expérience physique intéressante. Quelles retombées psychiques cela a dû avoir sur les femmes de cette époque ! 

Comment était-ce d’être dans la peau d’une femme européenne du XIXe siècle ? 

J’ai fait pas mal de recherches pour le rôle et j’ai épluché des livres et des magazines de l’époque. Ils expliquent comment les femmes doivent se comporter, s’habiller et s’exprimer. Les us et coutumes du marché matrimonial exerçaient une pression particulière sur les femmes. Si un homme faisait une mésalliance, par exemple si en tant qu’aristocrate il épousait une roturière, ce qui ne se faisait généralement pas, la mariée était très vite affublée d’un titre de noblesse. Pour les femmes, c’était exactement l’inverse. Si une aristocrate épousait un roturier, elle devait disposer de beaucoup plus d’argent pour ne pas descendre dans l’échelle sociale. Et comme aujourd’hui, on attendait d’une femme qu’elle soit la plus belle, la plus intelligente et la meilleure. À ce jeu-là, toutes les femmes sont perdantes. Surtout, leur influence diminue constamment avec l’âge. À l’époque, les femmes devenaient invisibles à partir de 40 ans. Et c’était donc pour Élisabeth une tentative, bien que désespérée, de s’affranchir, en disparaissant de son propre fait. 

Dans Corsage, les déboires écrasent Élisabeth. Toutes ses tentatives de distraction semblent échouer, jusqu’à ce qu’elle décide d’une issue tragique. Aurait-elle pu y échapper ? 

Je pense qu’Élisabeth a été toute sa vie, comme beaucoup de personnes à l’époque, sujette à une certaine mélancolie. Il y avait également une prédisposition à la dépression dans sa famille, ce qui est bien connu. 

Férue de poésie, Élisabeth affectionnait particulièrement le poète Heinrich Heine. À cette propension mélancolique s’ajoute le fait que la consommation de stupéfiants était alors considérée comme un traitement médical. Or la cocaïne et l’héroïne s’immiscent dans le cerveau et modifient la perception. Il faut toujours garder cela à l’esprit quand il est question d’Élisabeth. Et puis, il y avait ce corset, la sensation d’étouffer en permanence, d’avoir la respiration entravée. De plus, elle se détruisait à petit feu en s’infligeant des régimes draconiens et en pratiquant du sport à outrance. Elle le faisait bien sûr pour se sentir vivre. 

Tout cela fait que le champ de ses possibilités s’était restreint et qu’une issue devenait de plus en plus improbable. Tout cela, je l’avais à l’esprit en tant qu’actrice et parce que le carcan dans lequel était enfermé mon personnage me bouleversait, j’ai essayé par mon jeu de rendre un peu de liberté à Élisabeth. 

Sur le tournage, je me disais : je lui offre à titre posthume ce qui lui était interdit. Fumer, faire un doigt d’honneur, se couper les cheveux. En tant qu’actrice, j’adore la confrontation et les surprises. Ainsi, je faisais le pitre lorsque j’étais hors champ. C’était une manière d’expérimenter.

Pour moi, la grande question qui dominait le tout était : que se passe-t-il quand nous ne nous faisons plus tous semblant ? 

 

(Dossier de presse)