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Entretien avec Marie Kreutzer, réalisatrice 

 

corsage3Vous avez grandi, comme bien des personnes de votre génération, avec l’interprétation que Romy Schneider a faite de Sissi. Chaque année autour des fêtes de Noël, on rediffuse la trilogie à la télévision. L’impératrice Élisabeth y est représentée en jeune monarque obéissante dans un décor folklorique et kitsch. Votre Élisabeth en revanche a 40 ans, ce qui faisait d’elle une vieille femme à son époque, et elle s’épuise de vouloir vivre en cherchant une issue à son enfermement. Qu’est-ce qui vous a intéressée dans cette Élisabeth – et quel rapport entretenez-vous avec les films de Sissi ? 

Figurez-vous que je n’ai regardé la saga qu’au moment où j’ai entamé mes recherches pour Corsage. Mais bien sûr je me faisais une idée de Sissi. Je vis à Vienne depuis 1996 où son effigie inonde les étals des magasins de souvenirs. Sis - si est une attraction touristique majeure de notre ville. La graine du projet a été semée par Vicky Krieps, qui m’a lancé un jour, « Et si tu faisais un film sur Sissi avec moi ? ». N’ayant à l’esprit que les babioles dans les boutiques, je n’en voyais pas l’intérêt. Mais au fond de moi, l’idée a fait son che - min, et c’est ainsi que quelque temps plus tard, j’ai commencé à me documenter, sans trop savoir où j’allais. Je voulais juste savoir si quelque chose me toucherait, m’interpellerait. Et cela a été très vite le cas avec cette phase dans la vie d’Élisabeth, où elle a commencé à se rebeller contre le protocole, à se retirer et à s’isoler. C’était une période où il ne lui était manifestement plus possible de rentrer dans le corset de sa fonction. J’ai trouvé cette vie avec une image démesurée de soi, à laquelle il a fallu se conformer sans cesse parce que c’était la seule manière d’obtenir de la reconnaissance et de l’amour, très passionnante. C’est un sujet intemporel. 

Votre impératrice vit dans un corset fait de sacrifices et de réprobations sociales. Au début, elle cherche encore à correspondre à l’image idéale qu’elle se fait d’elle-même et que se fait d’elle l’opinion publique. Elle a d’ailleurs amplement contribué à alimenter cette image pendant des décennies par son culte de la beauté et son iconique coiffure de cheveux tressés. Dans votre film, Élisabeth a pris quelques années, elle est fatiguée de se conformer à cette image parfaite. Est-ce exclusivement son problème ou estce la peinture éloquente et encore d’actualité d’une vie de femme ? 

Si c’était exclusivement son problème, cela ne m’aurait pas intéressée. Les femmes d’aujourd’hui doivent encore répondre à bien des attentes auxquelles Élisabeth devait satisfaire. La vertu cardinale et la plus précieuse d’une femme est toujours la beauté. L’histoire, le mouvement féministe et l’émancipation n’ont rien changé à cela. Les femmes sont toujours dépréciées lorsqu’elles sont en surpoids ou qu’elles vieillissent. Une partenaire séduisante est toujours valorisante pour un homme, mais aujourd’hui on osera moins dire : « Ton rôle consiste à représenter – c’est pour cela que je t’ai choisie, c’est pour cela que tu es là », dit François-Joseph à Élisabeth dans mon film. En 2022, les femmes doivent maîtriser encore plus de choses, tout en restant belles, minces et jeunes, évidemment. À partir d’un certain âge, quoi qu’elles fassent, les femmes ont toujours tort : si elles font appel à la chirurgie, on leur reproche d’être vaniteuses, si elles ne le font pas, leurs rides leur valent des méchancetés. Cela touche particulièrement les femmes qui, comme Élisabeth, sont exposées, mais comme elles sont des représentantes, cela nous touche toutes. 

Dans son désespoir, l’impératrice Élisabeth se retire de plus en plus de sa propre vie. Cela correspondrait à des faits historiques : à la fin de sa vie, elle apparaissait en public uniquement cachée sous une voilette, voyageait beaucoup et se faisait remplacer pour les événements officiels, elle n’apparaissait plus ellemême. Quelle importance attachez-vous à la vérité historique dans Corsage ? 

Comme d’habitude, j’ai besoin de connaître les règles pour mieux les transgresser. J’ai notamment fait des recherches poussées sur cette période de la vie d’Élisabeth, mais j’ai pris beaucoup de libertés avec le contenu et la forme. Rien de ce que je raconte « mal » ou que je montre mal est le fruit du hasard, tout relève de choix artistiques. Je n’ai jamais été intéressée par la réalisation d’un sage biopic. Mais ce sont des faits avérés – Élisabeth ne montrant plus son visage à partir d’un certain âge – qui ont formé en moi cette histoire, cette intrigue. C’est vraiment passionnant, cette femme s’est effacée sous les yeux de tout le monde ! 

 

(Dossier de presse)